LE PARAVENT DE SOIE ET D'OR

Par

JUDITH GAUTIER

Ouvrage orné de nombreuses illustrations en couleurs.

PARIS
LIBRAIRIE CHARPENTIER ET FASQUELLE
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11
1904

Le général Ma-Vien.


Table des matières
Liste des illustrations


LE PARAVENT DE SOIE ET D'OR


LE PRINCE A LA TÊTE SANGLANTE

HISTOIRE LÉGENDAIRE D'ANNAM

Les branches basses du palétuvier, enguirlandées de lianes, formentcomme un hamac au-dessus du marais, et c'est là que le pasteur debuffles est couché nonchalamment, une jambe pendante, caressant de sonpied nu les longs rubans d'herbes qui traînent sur l'eau.

D'une voix molle et machinale, il chante, le jeune homme, scandant sachanson au rhythme vague dont il se balance en faisant clapoter l'eau.

A quelque distance, vautrées dans la vase, leurs mufles camus etveloutés tendus vers lui, ses bêtes semblent l'écouter, en dépit duproverbe: «La musique n'est pas faite pour l'oreille des buffles.»

De ses lèvres les paroles s'égrènent ainsi:

«Sauve-toi, seigneur tigre, sauve-toi! Malgré les griffes, malgré tesdents terribles, ta mort est certaine. Voici l'éléphant, roi de laforêt; écrasant les broussailles, il s'avance et va te briser les reins.

«Pauvre chèvre aux cornes gracieuses, à quoi bon fuir et bondir touteaffolée? ce tigre a faim, il faut qu'il mange.

«L'oiseau a des ailes multicolores, il vole haut, loin des embûches,et, à plein gosier, chante sa joie. Hélas! le serpent, enroulé àl'arbre, fascine l'oiseau et l'engloutit dans sa gueule béante!

«Sous l'herbe et les feuilles mortes, à force d'être humble et petit,le vermisseau échappe à tout danger. Mais non! du haut de l'air,l'oiseau l'a vu: il fond sur lui et le dévore.

«Seul le pasteur de buffles est assez infime et ignoré pour n'éveilleraucune convoitise!...»

Inondée de lumière et de chaleur, dans l'ardente sérénité de midi, lanature fermente et frémit. Sous l'inertie des choses la vie grouilleet pullule, il y a du bruit dans le silence. Mais, dominant tout, unbourdonnement continu résonne. Le jeune pasteur, malgré lui, l'écoute.

Qu'est-ce donc? on dirait le roulement lointain des chars de guerre,le piétinement cadencé des chevaux en marche et le heurt assourdi desarmes.

Non, ce n'est pas cela.

De l'autre côté de l'étang un frangipanier, merveilleusement,s'épanouit: aux branches nues, rien que des fleurs, de petites fleursjaunes et blanches d'un adorable parfum; et l'arbuste, dans l'eautrouble, se reflète, il n'est plus là qu'une fumée; mais tout unpeuple d'abeilles, d'insectes et de papillons tourbillonne dans lesbranches fleuries, avec quel tumulte et quelle joie! Ils se gorgent,se saoulent, s'affolent; les ailes vibrent ou palpitent; des gouttesd'or, des émeraudes, des flammes, fondent sur les pétales embaumés, lesmordent, sucent la salive mielleuse, pétrissent la pulpe tendre gonfléed'un lait amer: par moments l'arbre semble se secouer, rejeter cesinsatiables; mais elles se ruent de nouveau, toujours avides, avec unfrémissement plus sonore.

Le pasteur sourit et ferme à demi les yeux.

Les gourmandes abeilles, donnant l'assaut à cet arbre, lui semblentimiter le bruit des chars de g

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