L'Illustration, No. 3666, 31 Mai 1913
Ce numéro contient:
lº LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre nº 9: L'Habit vert, de MM.Robert de Fiers et G.-A. de Caillavet;
2° Quatre pages non brochées: La Sculpture au Salon de 1913;
3° Un Supplément économique et financier de deux pages.
UN BRAVE PARMI LES BRAVES Achille Delannoy, patron ducanot de sauvetage de Calais, décoré de la Légion d'honneur le 25 mai.Voir l'article, page 503.
Il est fort à la mode en ce moment de se bouleverser des jardins. On neparle que d'eux, des dangers qu'ils courent, de leur gloire, de leurbeauté, de l'art qui doit régir leur composition. Ils obtiennent chaquejour des amis, des défenseurs et des apôtres nouveaux, et plus d'uncitadin profane qui, en se couchant, ne se doutait pas de ce que c'étaitqu'une plate-bande, se réveille à la rosée du lendemain avec une âmejardinière.
Bien que j'en éprouve une joie sans malice, je suis un peu étonné quel'on semble s'aviser seulement à cette heure des indispensables jardins,de leur importance et de leur nécessité. Comme, depuis que le monde estmonde, ils couvrent sur la terre une bonne moitié du sol, si ce n'estplus, ils méritent aussi de tenir dans notre existence intellectuelle etsentimentale une place qui ne sera jamais trop grande. Ne sont-ils pasl'embellissement naturel d'une destinée au même degré que d'un site? Ilsont été faits et voulus pour accompagner un esprit et clore, sansl'emprisonner, un coeur, autant que pour agrémenter une maison ouentourer un château. C'est la ceinture végétale de notre nudité. Nousavons besoin de jardins pour nous promener dans les idées et dans lessentiments, et vivre loin d'eux est funeste à qui désire une bonnerespiration morale. Aussi ai-je toujours été curieux, avant de faire laconnaissance de quelqu'un, de savoir si, au moins, «son appartementintérieur» donnait sur des jardins, car c'est l'essentiel, la vraievue qu'il convient de posséder pour goûter, dans sa plénitude, le charmepur et profond de la vie. Tout le monde n'a pas la chance ou leprivilège d'ouvrir ses fenêtres sur des arbres et des gazons, mais toutle monde peut aimer les jardins, et grâce à cet amour, voir se déroulerdes tapis d'un vert éternel, et se balancer une branche et neiger desroses...
Si nous étions plus adroits et moins ingrats, si nous gardions bien lesimple souvenir de tous les jardins qui nous ont passé par les yeux, quiont une minute été toucher notre âme et que nous n'avons pas su retenir,quel vaste et délicieux domaine n'aurions-nous pas pour errer aux heuresd'isolement?... car il va de soi qu'au figuré comme au réel, après lesuprême et incomparable bonheur d'être deux dans la complicité dujardin, le plus doux est d'y être seul. Qui de vous, dites-moi, mêmejeune, et quel que soit son âge, n'a déjà en soi et derrière soi, toutun mémento de bosquets, de grandes allées, de petits chemins, deberceaux, d'ombrages tremblants et de vives fleurs? Qui de nous nepourrait, s'il lui en venait le caprice, écrire «Mes jardins»,l'histoire de ses jardins dont il nous conterait q