SOMMAIRE

ROGER MARTIN DU GARD

JEAN BAROIS

"La conscience malade, voila le théâtrede la fatalité moderne."

SUARÈS.

DIX-SEPTIÈME ÉDITION

nrf


PARIS

ÉDITIONS DE LANOUVELLE REVUE FRANÇAISE

35 ET 37, RUE MADAME. 1921


A M. MARCEL HÉBERT.

Votre sensibilité religieuse ne peut qu'être blessée par certaines tendancesde ce livre. Je le sais; et je vous remercie d'autant plus d'en avoir acceptéla dédicace.

Votre nom, au seuil de ces pages, n'est pas seulement le témoignagedu respectueux et vivace attachement que je vous porte depuis vingt ans.Je suis assuré qu'il me vaudra, de tous ceux qui connaissent la noblesse devotre pensée et le riche apport critique de votre œuvre, une attention plusgrave et comme un reflet de cette estime qui entoure l'éloquent renoncementde votre vie.

R. M. G. (Octobre 1913.)


PREMIÈRE PARTIE


LE GOUT DE VIVRE


I

En 1878, à Buis-la-Dame (Oise).

La chambre de Mme Barois.

Pénombre. Derrière les rideaux, la lune strie de noir et deblanc les persiennes. Sa lueur sur le parquet, met en relief unbas de robe, une bottine d'homme qui bat silencieusement lamesure. Deux respirations; deux êtres s'immobilisant dans unemême attente.

Par moments, dans la pièce voisine, le grincement d'un litde fer; une voix d'enfant, sourde, entrecoupant des mots derêve ou de délire. Dans l'entrebaîllement de la porte, un refletmouvant de veilleuse.

Longue pause.

LE DOCTEUR (à voix basse).—Le bromure agit, la nuit va être pluscalme.

Lourdement Mme Barois se lève et, sur la pointe des pieds,s'approche de la porte; appuyée au vantail, le masque inerteet douloureux, les paupières à demi baissées, elle regardefixement dans la chambre éclairée.

Mme Barois: grande vieille femme, au ventre déformé, àla démarche pesante.

L'état cru de la veilleuse fouille impitoyablement son visageravagé; la peau est jaune, distendue; des ombres soulignentla bouffissure des yeux, la chute des joues, le gonflement deslèvres, le fanon.

Une bonté rigide, un peu bornée; une douceur têtue; de laréserve.

Quelques minutes.

MADAME BAROIS (bas).—Il dort.

Elle ferme avec précaution la porte, allume une lampe etvient se rasseoir.

LE DOCTEUR (posant sa main sur celle de sa mère, et, par habitude, glissantles doigts jusqu'au pouls).—Vous aussi, Maman, ce voyage vousa épuisée.

Mme Barois secoue la tête.

MADAME BAROIS (bas).—Je sens que tu m'en veux, Philippe, d'avoiremmené Jean là-bas.

Il ne répond pas.

Le Docteur Barois: cinquante-six ans. Petit, alerte; gestesvifs et précis.

Le poil déjà gris. Un visage fin et comme aiguisé: l'arête dunez est coupante, la moustache darde deux bouts cirés, la barbepointe; un demi-sourire, malicieux et bon, amincit les lèvres;l'œil mobile et perçant luit à feux brefs à travers le lorgnon.

...

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