LÉON FRAPIÉ

LES OBSÉDÉS

PARIS
CALMANN-LÉVY, EDITEURS
3, RUE AUBER, 3

CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS

DU MÊME AUTEUR
Format grand in-18.

MARCELIN GAYARD 1 vol.

Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays,y compris la Suède, la Norvège et la Hollande.

IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS. — 21392-11-04 — (Encre Lorilleux.)

LES OBSÉDÉS

I

Ferdinand Prestal s’était marié en qualité decommis-rédacteur à la Compagnie centrale desChemins de fer.

Pendant les fiançailles, il avait confessé un légertravers :

— En dehors du bureau j’ai adopté, commedistraction, d’écrivasser ce qui se passe autourde moi ; oh ! des petites manivelles sans prétention,faites pour moi seul. Et puis, je bouquine beaucoup ;je ne suis pas très « homme de ménage ».

Son visage était lumineux de franchise et desimplicité : oui, vraiment, quand il n’écrivait pas,il lisait ; sauf cela, aucun égoïsme, il serait tout àsa femme.

Marthe, — livrée à cette palpitante curiositédes fiancées : « régnerai-je sans égale dans votrepensée, mon ami ? », — Marthe, le visageencore plus clair, encore plus ingénu, avaitjugé qu’un tel travers était en effet bien innocent.

Elle n’avait pu obtenir aucun échantillon deces manivelles littéraires : il s’agissait de si peu dechoses.

Mais, le lendemain des noces, Ferdinand avaitspécifié qu’il s’absorbait dans sa littérature, aprèsdîner, de huit heures à onze heures et que, levétôt, il paperassait encore, le matin, avant de partirau bureau.

Puis il avait gentiment sollicité la participationde sa femme.

Gentiment, mais en quelque sorte légitimement :cela venait comme une analogie, comme une suiteau droit marital :

— Tu m’aideras, je serai moins maladroit, avait-ildit en donnant à lire des nouvelles bien intentionnées,plutôt que bien réussies.

Sa câlinerie était charmante. Seulement il avaitajouté :

— Lis tout de suite, quand je te demande.

Rien de heurté : c’était une continuation de rôle.Ferdinand avait même imposé la règle d’appréciation :

— L’écrivain soucieux d’influence doit se dissimulerderrière des événements significatifs par eux-mêmes.Quand j’écris, je pense à la gamine de tadirectrice que tu m’as si bien dépeinte : les conseils,les récriminations ne portent pas ; elle ment, elletrouve le moyen de se justifier. Il faut impersonnellementlui dire son fait : « Un jour, une petiteespiègle a caché une pièce d’argenterie et elle alaissé accuser et renvoyer la bonne : peut-être quecette pauvre fille est morte de faim… Voilà lepot de confitures, donne-t-en une indigestion situ veux. »

Bref, excepté qu’il dictait son exigence en tout,Ferdinand laissait sa femme absolument maîtressede ses goûts et du reste.


Ensuite, comme par hasard, il avait fait uneheureuse découverte : Marthe possédait un donvibrant d’observation, une intuition des plus sagaces ;eh bien ! ma foi, elle ne s’en tiendrait pas à la critique,elle devrait aussi sustenter, par des proposabondants, la « petite distraction littéraire sansimportance » de son mari.

— Mais certainement, mon ami.

Ainsi se forme une épouse.


Certes, au regard d’un écrivain, Marthe pouvaitse flatter d’être documentée à souhait.

Dans un ouvroir pour les femmes sans asile, — principalementpour les filles-mères, — où le séjourmaximum était d’un mois, elle s’occupait du se

...

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