EDMOND ABOUT

LES
MARIAGES
DE PROVINCE

LA FILLE DU CHANOINE
MAINFROI — L'ALBUM DU RÉGIMENT
ÉTIENNE

TROISIÈME ÉDITION

PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77

1869
Droits de propriété et de traduction réservés.

Coulommiers. — Typographie A. MOUSSIN.

A
MADEMOISELLE GENEVIÈVE BRÉTON

Mademoiselle,

Les Mariages de Paris ont paru il y a douze ans sousles auspices de votre bonne et vénérée grand'mère,Mme Hachette ; je confie le destin des Mariages de Provinceà votre jeunesse dans sa fleur, comme les ouvriersattachent un bouquet sur la maison qu'ils ontbâtie. Il m'est doux d'attester ainsi une amitié que letemps et l'user ont affermie, et qui se transmet, commeun héritage croissant, d'une génération à l'autre. Quantau livre en lui-même, vous l'avez lu, je n'en dis rien :vaut-il mieux, vaut-il moins que les Mariages de Paris?C'est une question qui sera décidée dans vingt ans parmesdemoiselles vos filles.

Edmond ABOUT.

Saverne, 25 octobre 1868.

I
LA FILLE DU CHANOINE

Voici dans quelle occasion cette histoire me futcontée par le plus honnête homme de Strasbourg.C'était l'hiver dernier ; nous allions faire en paysbadois une de ces battues dont on rapporte un centde lièvres au moins, sous peine de passer pour bredouille.Celui qui nous donnait cette fête et qui m'yconduisait dans sa voiture était le notaire Philippe-AugusteRiess ; il est mort cette semaine après uneagonie de six mois, et la vieille ville démocratiquele pleure. Tous ceux qui pensent librement, et il yen a beaucoup dans ce noble coin de la France,recherchaient ses conseils et suivaient ses exemples ;il exerçait amicalement sur ses égaux l'autoritéque donne un bon sens infaillible doublé d'une irréprochablevertu. Aucune œuvre de bienfaisance intelligentene fut entreprise sans son concours : il étaitl'âme de la digne et patriarcale cité. On ferait unerépublique autrement belle qu'Athènes et Sparte, sil'on pouvait réunir un million d'hommes tels quelui. Ce citoyen de l'âge d'or n'affectait pas de dédaignerle présent ; sa tolérance s'étendait jusqu'auxœuvres de l'art et de la littérature contemporaine. Ilallait au théâtre, il lisait tous nos livres, exaltaitvolontiers, ce qui lui semblait bon, et notait sans aigreurles défaillances publiques et privées.

Comme le rendez-vous de chasse était à deuxheures de la ville, nous eûmes le loisir d'échangerbien des idées et de passer bien des gens en revue.Dans sa critique toujours juste et modérée, un seulpoint me parut contestable.

« Votre principal défaut, disait-il, et je m'adresseà tous les romanciers, dramaturges et auteurs comiquesd'aujourd'hui, est de n'étudier que des exceptions :le théâtre et le roman ne vivent pas d'autrechose. L'adultère? exception. Le crime? exception,Le suicide? exception. Le demi-Monde, ce chef-d'œuvrede Dumas fils, les Effrontés, Giboyer,Maître Guérin, le Fils naturel, les Faux Bonshommes,exceptions ; tout Balzac est un musée d'exceptions,de difformités, de monstruosités morales!Est-il donc impossible d'intéresser le lecteur ou lespectateur à meilleur compte? La vie est assezféconde en combinaisons var

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