L'Illustration, No. 3676, 9 Août 1913
Ce numéro contient:
1º LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Roman n° 10: La Voix qui s'est tue, parM. Gaston Rageot;
2º Un Supplément économique et financier de deux pages.
Le roi Constantin. M. Venizelos.
APRÈS LA VICTOIRE Avant d'aller à Bucarest, le premierministre hellène arrête, avec son souverain, les conditions de paix dela Grèce. Photographie Jean Leune.
Après celui du feu qu'ils avaient auparavant essuyé tant de fois à latête, nos Sénégalais ont reçu le mois dernier, à l'affaire du quatorzejuillet, dans la petite oasis de Longchamp qui leur laissera le souvenird'un Sahara de gloire, --le baptême tricolore.
Puisqu'ils avaient montré qu'ils étaient capables d'en prendre, on leura donné des drapeaux.
Ils savaient bien ce que c'était. Mais ils ont mieux compris par cettesolennelle remise qui leur en a été faite aux clameurs et au tam-tamd'un peuple, tout ce que valait et représentait cet emblème. Un seuld'entre eux pouvait bien l'avoir dans les mains,... ils le tenaienttous! Et tous, à partir d'aujourd'hui, gardent l'orgueilleuse impressiond'être un porte-étendard. Chacun, en voyant le drapeau et en y pensant,croit et sait qu'il est à lui, s'imagine en serrer dans l'étau de sesdoigts la hampe comme un bois de lance ou de pagaie, en avoir contre levisage et devant les yeux l'ombre, le souffle et la caresse, et aussi ledéploiement guerrier, la bruissante fantasia: blanc de marabout, bleu deciel, rouge de sang.
Ces soldats noirs sont homériques. Tous ceux qui les ont approchés etemployés, qui s'en sont servis avec la plénitude de la confiance et dela joie, tous les chefs, et quels chefs! les plus fameux, les plusdurcis, les Lyautey, les Gouraud, les Marchand, les Baratier, lesMangin, qui les ont conduits aux grandes aventures de l'exploration etde la bataille sans avoir jamais besoin de les y entraîner avant, nide les en ramener de force après, les citent constamment à l'ordre dujour de leur admiration difficile. Qui de nous ne se souvient des hérosdont Baratier, dans ses Épopées africaines, nous a conté les exploits,la sublime simplicité de courage et de grandeur d'âme? C'est TankariTaraoré, portant la nuit, à travers la brousse et la forêt occupées parl'ennemi, un message, après avoir vu, devant lui, tomber successivementtrois de ses camarades chargés de la même commission. C 'est le sergentMoriba, auquel, dans les marais de Barb-el-Gazal, Baratier fait un soircette confidence tragique: «Tu sais que nous n'avons plus rien à manger?Tu sais par où nous devrons repasser si nous faisons demi-tour? Pournous sauver il faut aller en avant. Dans combien de temps serons-noushors d'ici? Je l'ignore. A toi je dis la vérité. Me réponds-tu que lestirailleurs iront jusqu'au bout, tu comprends? jusqu'au bout? qu'ils nes'arrêteront que morts?»
Moriba n'hésite pas: «En avant seulement y a bon pour tirailleurs!»
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Y a bon...