PAR
J. MICHELET
NOUVELLE ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE
TOME SEPTIÈME
PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LACROIX & Cie, ÉDITEURS
13, rue du Faubourg-Montmartre, 13
1876
Tous droits de traduction et de reproduction réservés.
La longue et confuse période des dernières années de Charles VII peutnéanmoins se résumer ainsi: la guérison de la France.—Elle guérit, etl'Angleterre tombe malade.
La guérison semblait improbable; mais l'instinct vital qui se réveilleà l'extrémité, ramassa, concentra les forces. Tout ce qui souffrait seserra.
Ceux qui souffraient, c'était d'une part la royauté (p. 2) réduite àrien; de l'autre, les petits, bourgeois ou paysans. Ceux-ci avisèrentque le roi était le seul qui n'eût pas intérêt au désordre, et ilsregardèrent vers lui. Le roi sentit qu'il n'avait de sûr que cespetits. Il confia la guerre aux hommes de paix, qui la firent àmerveille. Un marchand paya les armées; un homme de plume dirigeal'artillerie, fit les siéges, força dans les places les ennemis, lesrebelles.
On fit si rude guerre à la guerre qu'elle sortit du royaume.L'Angleterre, qui nous l'avait jetée, la reprit à bord.
Les grands, sans appui, vont se trouver petits en face du roi, àmesure que ce roi grandira par le peuple; ils seront obligés peu à peude compter avec lui. Pour cela, il faut du temps, quarante ans et deuxrègnes. Le travail se fait à petit bruit sous Charles VII et il nefinit pas. Il doit durer tant qu'à côté du roi subsiste un roi, le ducde Bourgogne.
Le 2 novembre 1439, Charles VII, aux états d'Orléans, ordonne, à laprière des états: Que désormais le roi seul nommera les capitaines;que les seigneurs, comme les capitaines royaux, seront responsables dece que font leurs gens; que les uns et les autres doivent répondreégalement devant les gens du roi, c'est-à-dire que désormais la guerresera soumise à la justice. Les barons ne prendront plus rien au delàde leurs droits seigneuriaux[1], sous prétexte de guerre. La guerredevient (p. 3) l'affaire du roi; pour douze cent mille livres par anque les états lui accordent, il se charge d'avoir quinze cents lancesde six hommes chacune. Plus tard, nous le verrons, à l'appui de cettecavalerie, créer une nouvelle infanterie des communes.
Les contrevenants n'obtiendront aucune grâce; si le roi pardonnait,les gens du roi n'y auront nul égard. L'ordonnance ajoute une menaceplus directe et plus efficace: La dépouille des contrevenantsappartient à qui leur court sus[2].—Ce mot était terrible; c'étaitarmer le paysan, sonner, pour ainsi dire, le tocsin des villages.
Que le roi osât déclarer ainsi la guerre au désordre, lorsque lesAnglais étaient encore en France; qu'il tentât une telle réforme enprésence de l'ennemi, n'était-ce pas une imprudence? Quoique dans lepréambule, il dise que l'ordonnance a été faite sur la demande desétats, il est douteux que les princes et la noblesse qui y siégeaientaient bien sérieusement sollicité une réforme qui les atteignait.
Ce qui explique en partie la hardiesse de la mesure, c'est que lescapitaines soi-disant royaux, les pillards, les écorcheurs,