J'aime le français tel qu'on le parle à Witzheim, avec un accent graset savoureux comme la cuisine du pays, mais le patois alsacien a bienaussi son charme bourru.
C'est un langage honnête et solide, tout plein d'une sorte d'humourrustique. La solennité de la phrase allemande, si rigide dans sacharpente, fait place ici à la bonhomie de grognements familiers.
L'Allemand dit: Ia; l'Alsacien dit: Iô. Ia est net,tranchant, affirmatif; Iô est traînant, ironique, dubitatif. Tout est là,et vous pouvez aller de Bischwiller à Mulhouse si vous prononcez Iô commeil faut.
Les mots français, semés dans la phrase alsacienne comme des truffesdans un pâté, retrouvent parfois dans ce terrain nouveau un parfumévaporé. Alors que chez nous: «Nom d'une pipe» est sans force, le«Nundepip» de mon ami Deck est encore un brillant juron.
Sur la place d'armes de Witzheim, entre le restaurant «Au Canon» et lerestaurant «Au Saumon», je sonne à la porte de sa maison enveloppéed'un toit en pèlerine et coiffée de tuiles imbriquées que percent desmansardes en gradins:
—Nundepip! s'écrie-t-il en m'apercevant... Joséphine!...Süzele!... Wos e surprise!
Dans le salon de Mme Deck, aucun meuble n'a changé de placedepuis le traité de Francfort. Les fauteuils et les tentures sont duSecond Empire le plus pur. Au mur deux gravures naïves montrent Bonaparteau pont d'Arcole et Napoléon à Eylau. La médaille de Sainte-Hélènesurmonte le congé du grand-père. Avec elle est encadré le ruband'Italie de l'oncle Deck qui refusa d'acheter un remplaçant. Sur uneconsole, deux statuettes en bonnet à poil veillent un casque decuirassier ramassé à Reichoffen.
Je dis à mon ami Deck.
—Ils ont du cran, tes grenadiers.
—Iô!... répond-il... des bibelots!
Car M. Deck, en bon Alsacien, raille ses sentiments les plus vifs. Derace forte et militaire, il aime les soldats et la gloire. Vivantmalgré lui une histoire étrangère, il s'est attaché à des souvenirsque rien ne venait effacer. La fidélité alsacienne se cramponnaitalors à l'image d'une France un peu désuète. Ici les vétérans ontconservé leur uniforme, les pompiers leur plumet rouge, et le langagedes archaïsmes.
—Quel est le régiment français entré le premier à Witzheim?
—Le cent soixante toûssième te ligne, a répondu fièrementM. Deck.
Bien qu'il soit dix heures du matin, Joséphine apporte la tarte auxquetsches. Cinq ans de guerre ne m'ont pas fait oublier ce queMme Deck appelle un petit morceau et j'observe depuis huitjours un demi-jeûne préparatoire.
Qui n'a pas vécu en Alsace pendant la saison des quetsches ignore lesplaisirs du goût. Les fruits sont serrés comme les tuiles du toit; lejus sucré garde cependant encore une nuance d'âpret