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Pourquoi vous parlé-je cette année de Racine? Tout simplement parce quec'est Racine qu'on m'a le plus «demandé», et que, d'ailleurs, cela ne medéplaisait point.
Je pourrais vous dire aussi qu'ayant étudié Jean-Jacques Rousseau l'andernier, j'ai cherché un effet de contraste: Racine, traditionaliste;Rousseau, révolutionnaire; Racine, catholique français, monarchiste;Rousseau, protestant genevois, républicain; Racine, artiste pur;Rousseau, philosophe et promoteur d'idées… Mais ce parallèle, suggérépar un hasard, serait fort artificiel, et j'aime mieux vous avouer qu'ily a peu de rapports, sinon antithétiques, et encore pas sur tous lespoints, entre les deux personnages (quoiqu'il y en ait peut-être entrela Nouvelle Héloïse et le théâtre de Racine, père indirect du romanpassionnel).
Ce qui est sûr, c'est que je suis content de n'avoir plus à examiner età juger les idées. Dans l'art pur et dans la connaissance des âmes etdes mœurs,—qui fut une des occupations du XVIIe siècle,—on peutarriver à quelque chose de solide et de définitif: dans la philosophieou la critique ou les sciences politiques et sociales, je ne sais pas.Il y a tel écrivain du XIXe siècle qui vous paraît peut-être plusintelligent que Racine, ou qui, du moins, a su plus de choses que lui,et qui, en outre, s'est donné des libertés sur des points où Racines'est contenu et abstenu. Mais, au bout du compte, si les philosophes etles critiques nous retiennent, c'est moins par la somme assez petite devérité qu'ils ont atteinte que par les jeux—quelquefois ignorésd'eux-mêmes—de leur sensibilité et de leur imagination et par lecaractère de beauté de leurs ouvrages. Oh! que je suis heureux queRacine n'ait pas été un «esprit fort», ce qu'on appelle vaniteusement un«penseur», qu'il n'ait été savant qu'en grec, et qu'il n'ait cherchéqu'à faire de belles représentations de la vie humaine!
À cause de cela nous l'aimons aujourd'hui, je pense, plus qu'on n'ajamais fait.
Et cependant on l'a beaucoup aimé déjà au XVIIe siècle (aimé autant quehaï). Il a eu pour lui, tout de suite, le roi, la jeune cour, et la plusgrande partie de sa génération. Boileau et ses amis le préfèrent,secrètement d'abord, puis publiquement, à Corneille. La Bruyère écrit en1693: «Quelques-uns ne souffrent pas que Corneille lui soit préféré,quelques autres qu'il lui soit égalé.» Au XVIIIe siècle, tout le monde,à la suite de Voltaire, adore Racine, le juge parfait. Vauvenarguesl'appelle: «le plus beau génie que la France ait eu». Cela durelongtemps, jusqu'aux romantiques. Ceux-ci exaltent fort justementCorneille: mais ils jugent Racine à travers l'insupportable tragédiepseudo-classique du XVIIIe siècle et de l'Empire,—qui, d'ailleurs, estplutôt cornélienne et dont Racine n'est pas responsable.
Aujourd'hui, je le répète, Racine est extrêmement en faveur. On l'aimeplus que jamais, un peu par réaction contre le mensonge et l'illusionromantiques. Et en même temps, on peut dire que le romantisme, quiméconnaissait si niaisement Racine, nous a cependant aidés à le mieuxcomprendre et nous a incités à découvrir chez notre poète—fût-ce un peupar malice et esprit de contradiction—les c