SANGUINES


ŒUVRES DE PIERRE LOUŸS

ASTARTÉ, poèmes.—1892 épuisé.
LES CHANSONS DE BILITIS.—1894 1 vol.
APHRODITE.—1896 1 vol.
LA FEMME ET LE PANTIN.—1898 1 vol.
LES AVENTURES DU ROI PAUSOLE.—1901 1 vol.

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE

50 exemplaires numérotés sur papier de Hollande.

15 exemplaires numérotés sur papier du Japon.

15 exemplaires numérotés sur papier Whatmann.


PIERRE LOUŸS

SANGUINES

ONZIÈME MILLE

PARIS

BIBLIOTHÈQUE CHARPENTIER

EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR

11, RUE DE GRENELLE, 11

1903

Tous droits réservés.


A MON FRÈRE


[p. 3]L'HOMME DE POURPRE

I

Dans les jardins verts de la blanche Ephèse,nous étions deux jeunes apprentis avec le vieillardBryaxis.

Lui, venait de s'asseoir dans un siège depierre aussi pâle que son visage. Il ne parlaitpoint. Il grattait la terre du bout de son bâtonusé.

Nous, par respect pour son grand âge et poursa grande gloire plus vénérable encore, nousnous tenions debout en face de sa personne,[p. 4]adossés à deux cyprès noirs et n'osant ouvrir labouche alors qu'il ne disait rien.

Immobiles, nous le considérions avec unesorte de piété dont il semblait avoir conscience.Nous lui savions gré de survivre à tous ceuxque nous aurions voulu connaître; nous l'aimionsde se montrer à nous, simples enfantsnés trop tard pour entendre les voix héroïques;et, pressentant les jours prochains où personnene le verrait plus, nous cherchions en silenceles invisibles liens qui l'unissaient à son œuvreéclatante. Ce front avait conçu, ce pouce avaitmodelé dans l'argile de l'ébauche, une frise etdouze statues pour le tombeau de Mausole,les cinq colosses dressés devant la ville deRhodes, le Taureau de Pasiphaé qui fait rêverles yeux des femmes, le formidable Apollonde bronze et le Séleucos Triomphant dela nouvelle capitale... Plus je contemplaisleur auteur, et plus il me paraissait que lesdieux avaient dû façonner de leurs mainsce sculpteur de la lumière, avant de descendre[p. 5]jusqu'à lui pour qu'il les révélât auxhommes.


Tout à coup, un pas de course, un sifflet, uncri de gaieté: le petit Ophélion bondit entrenous.

—Bryaxis! fit-il. Ecoute ce que toute laville sait déjà. Si je suis le premier à te l'apprendre,je déposerai une fève devant l'Artémis...Mais d'abord, salut! J'avais oublié.

Vite, il nous fit du coin de l'œil un clignementqui pouvait passer aussi pour un salut, àmoins que cela ne voulût dire: préparez-vousbien. Et aussitôt, il commença:

—Tu savais, mon bon vieux, que Clésidèsfaisait le portrait de la Reine?

—On m'en avait parlé.

—Mais la fin de l'histoire, on te l'a diteaussi?

—Il y a donc une histoire?

—S'il y en a une! Tu ne sais rien! Clésidèsétait venu tout exprès d'Athènes, il y a huit[p. 6]jours. On l'amène au palais, la Reine n'étaitpas prête! elle se permettait d'être en retard.Enfin elle se montre, salue à peine son peintre,et pose... si l'on peut appeler cela poser. Il paraîtqu'elle remuait tout le temps, sous prétexteque l'amour lui avait donné des crampes. Clésidèsdessinait tant bien que mal, au vol desgestes, et de très méchante h

...

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