HISTOIRE DE FRANCE

PAR

J. MICHELET

NOUVELLE ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE

TOME HUITIÈME

PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LACROIX & Cie, ÉDITEURS
13, rue du Faubourg-Montmartre, 13

1876
Tous droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. 1) LIVRE XV

CHAPITRE PREMIER
LOUIS XI REPREND LA NORMANDIE—CHARLES LE TÉMÉRAIRE RUINE DINANT ETLIÉGE
1466-1468

Un royaume à deux têtes, un roi de Rouen[1] et un roi de Paris,c'était l'enterrement de la France. Le (p. 2) traité était nul[2];personne ne peut s'engager à mourir.

Il était nul et inexécutable. Le frère du roi, les ducs de Bretagne etde Bourbon, intéressés à divers titres dans l'affaire de la Normandie,ne purent jamais s'entendre.

Le 25 novembre, six semaines après le traité, le roi, alors enpèlerinage à Notre-Dame de Cléry[3], reçut des lettres de son frère.Il les montra au duc de Bourbon: «Voyez, dit-il, mon frère ne peuts'arranger avec mon cousin de Bretagne; il faudra bien que j'aille(p. 3) à son secours, et que je reprenne mon duché de Normandie.»

Ce qui facilitait la chose, c'est que les Bourguignons venaient des'embarquer dans une grosse affaire qui pouvait les tenir longtemps;ils s'en allaient en plein hiver châtier, ruiner, Dinant et Liége. Lecomte de Charolais, levant le 3 novembre son camp de Paris, avaitsignifié à ses gens, qui croyaient retourner chez eux, «qu'ils eussentà se trouver le 15 à Mézières, sous peine de la hart.»

Liége, poussée à la guerre par Louis XI, allait payer pour lui. Quandil eût voulu la secourir, il ne le pouvait. Pour reprendre laNormandie malgré les ducs de Bourgogne et de Bretagne, il lui fallaitau moins regagner le duc de Bourbon, et c'était justement pourrétablir le frère du duc de Bourbon, évêque de Liége, que le comte deCharolais allait faire la guerre aux Liégeois.

J'ai dit avec quelle impatience, quelle âpreté, Louis XI, dès sonavénement, avait saisi de gré ou de force le fil des affaires deLiége. Il les avait trouvées en pleine révolution, et cette révolutionterrible, où la vie et la mort d'un peuple étaient en jeu, il l'avaitprise en main, comme tout autre instrument politique, comme simplemoyen d'amuser l'ennemi.

Il m'en coûte de m'arrêter ici. Mais l'historien de la France doit aupeuple qui la servit tant, de sa vie et de sa mort, de dire une foisce que fut ce peuple, de lui restituer (s'il pouvait!) sa viehistorique. Ce peuple au reste, c'était la France encore, c'étaitnous-mêmes. Le sang versé, ce fut notre sang.

(p. 4) Liége et Dinant, notre brave petite France de Meuse[4],aventurée si loin de nous dans ces rudes Marches d'Allemagne, serréeet étouffée dans un cercle ennemi de princes d'Empire, regardaittoujours vers la France. On avait beau dire à Liége qu'elle étaitallemande et du cercle de Westphalie, elle n'en voulait rien croire.Elle laissait sa Meuse descendre aux Pays-Bas...

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