[NOTE du transcripteur:Extrait du quotidien Canadien-Français La Patrie où cet ouvrage a étépublié en feuilleton dans les éditions du 20 octobre au 1 décembre 1879.]
La Patagonie est aussi inconnue aujourd'hui qu'elle l'était lorsque JuanDiaz de Solls et Vincente Yanez Pinzon y débarquèrent en 1508, seize ansaprès la découverte du Nouveau-Monde.
Les premiers navigateurs, involontairement ou non, ont couvert ce paysd'un voile mystérieux que la science et des relations fréquentes n'ontpas encore entièrement soulevé. Le célèbre Magalës (Magellan) et sonhistorien le chevalier Pigafetta, qui touchèrent ces côtes en 1520,furent les premiers qui inventèrent ces géants patagons si haut que lesEuropéens atteignaient à peine à leur ceinture, ou grands de plus deneuf pieds et ressemblant à des cyclopes. Ces fables, comme toutes lesfables, ont été acceptées pour des vérités, et, au siècle dernier,devinrent le thème d'une très-vive polémique, entre les savants. Aussidonna-t-on le nom de Patagons (grands pieds) aux habitants de cetteterre qui s'étend du versant occidental des Andes à l'océan Atlantique.
La Patagonie est arrosée, dans toute sa longueur, par le Rio-Colorado auN., et le Rio-Négro à l'E.-S.-E. Ces deux fleuves, par les méandres deleurs cours, rompent agréablement l'uniformité du terrain aride, sec,sablonneux, où croissent seulement des buissons épineux, et dispensentla vie à la végétation non interrompue qui court le long de ses rives.Ils s'enroulent autour d'une vallée fertile ombragée de saules ettracent deux profonds sillons au milieu d'une terre presque unie.
Le Rio-Négro coule dans une vallée cernée par de hautes falaises coupéesà pic, que les eaux viennent battre encore. Là où elles se sontretirées, elles ont laissé des terrains d'alluvion revêtus d'unevégétation éternelle, et ont formé des îles nombreuses peuplées desaules et contrastant avec l'aspect triste des falaises nues descoteaux.
Les singes, les grisons, la moufette, le renard, le loup rougeparcourent incessamment et dans tous les sens les déserts de laPatagonie, en concurrence avec le cougouar, lion d'Amérique, et lesimbaracayas, ces chats sauvages si féroces et si redoutables. Les côtesfourmillent de carnassiers amphibies, tels que les otaries et lesphoques à trompe. Le quya, caché dans les marais, jette dans les airsson cri mélancolique; le guaçuti, le cerf des Pampas, court léger surles sables, pendant que le guanaco, ce chameau américain, s'accroupitrêveur sur le sommet des falaises. Le majestueux condor plane à traversles nues, en compagnie des dégoûtants cathartes, urubus et auras, qui,comme lui, rôdent autour des falaises du littoral pour y disputer desrestes de cadavres aux voraces caracaras. Voilà quelles sont les plainesde la Patagonie! Monotone solitude, vide, horrible et désolée!
Un soir du mois de novembre, que les indiens Aucas nommentkèkil-kiyen, le mois d'émonder, un voyageur monté sur un fort chevaldes pampas de Buenos-Ayres, suivait au grand trot un de ces millessentiers tracés par les Indiens, inextricable dédale qu'on retrouve surle bord de tous les fleuves d'Amérique.
Ce voyageur était un homme de trente ans au plus, vêtu du costume,semi-indien semi-européen, particulier au gauchos. Un poncho, defabrique indienne, tombait de ses épaules sur les flancs de son cheval,et ne laissait voir que les longues Paienas chiliennes qui Luimontaient au-dessus du genou. Un laço et des bolas pendaient dechaque côté de sa selle, et il portait en travers devant lui unecarabine rayée.
Son visage, à demi-caché pa