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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE

PAR
JULES SANDEAU
II
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS

1847

I

Mademoiselle de La Seiglière veillait seule. Accoudée sur l'appui d'unefenêtre ouverte, le front appuyé sur sa main, dont les doigts seperdaient sous les nattes de sa chevelure, elle écoutait d'un airdistrait les confuses rumeurs qui montaient des champs endormis, concertde l'eau, du feuillage et des brises, nocturne de la création, langageharmonieux des nuits étoilées et sereines. À toutes ces voix et à tousces murmures, mademoiselle de La Seiglière mêlait les premierstressaillements d'un cœur où la vie commençait à poindre et à serévéler. Il se faisait en elle comme un bruit de source cachée, près desourdre, et soulevant déjà la mousse et le gazon qui la couvrent. Hélènes'était élevée dans un monde gracieux, élégant et poli, mais peuaccidenté, froid, correct, compassé, nous n'avons pas dit ennuyeux. Sesentretiens avec le vieux Stamply, les lettres de Bernard, l'image et lesouvenir d'un mort qu'elle n'avait jamais connu, avaient été tout lepoème de sa jeunesse. À force d'entendre parler de ce mort, à force delire et relire ces lettres qui respiraient toutes une adorable piétéfiliale unie aux exaltations de la gloire, lettres d'enfant autant quede héros, caressantes et chevaleresques, toutes écrites dans l'ivressedu triomphe, le lendemain d'un jour de combat, elle en était venue à seprendre pour lui de cette poétique affection qui s'attache à la mémoiredes jeunes amis moissonnés avant l'âge. Peu à peu, ce sentiment étrangeavait germé et s'était épanoui dans son sein comme une fleurmystérieuse: petite fleur bleue de l'idéal qui parfume le fond des âmes,aux heures solitaires Hélène se penchait sur son cœur pour la voir etpour la respirer. Comment se serait-elle défiée d'un rêve dont ellen'avait jamais entrevu la réalité? comment aurait-elle pu s'effaroucherd'une ombre dont le corps dormait au tombeau? Parfois elle emportait ceslettres dans ses excursions, comme elle aurait pu faire d'un livre aimé,et ce matin même, sur la pente des coteaux, assise sous un bouquet detrembles, elle en avait relu la plus touchante, celle dans laquelleBernard envoyait à son vieux père le premier bout de ruban rouge quiavait brillé sur sa poitrine. Le bout de ruban s'y trouvait encore,terni par la fumée de la poudre et par les baisers du vieux Stamply.Hélène n'avait pu s'empêcher de songer que cela valait bien, à toutprendre, les œillets, les roses ou les camélias que M. de Vaubertportait toujours à sa boutonnière. Elle était donc revenue la tête etl'esprit tout remplis d'expressions de flamme, et de retour au château,à peine entrée dans le salon, on lui avait montré Bernard, Bernardressuscité, Bernard debout et vivant devant elle. C'était plus qu'iln'en fallait à coup sûr pour surprendre vivement une imagination oisive,qui ne s'était jusqu'à présent exaltée que pour des chimères.L'apparition miraculeuse de ce jeune homme, qui ne ressemblait à rien dece qu'elle avait vu jusqu'alors, et qui ne répondait pas trop mal autype qu'elle s'en était formé confusément, la position de ce filsqu'elle croyait déshérité par la probité de son père, son air triste etgrave, son attitude digne et fière, le belliqueux éclat de son front etde son regard, ce qu'il avait enduré et souffert, enfin tous les détailsde

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