Tout vit dans tout éternellement.
On trouvera en ce livre, qui est un petit roman d'aventures possibles,la pensée, l'acte, le songe, la sensualité exposés sur le même planet analysés avec une pareille bonne volonté. C'est que, décidément,l'homme est un tout où l'analyse retrouve mal la dualité antique del'âme et du corps. L'âme est un mode et le corps est un mode, maisindistincts et fondus; l'âme est corporelle et le corps est spirituel.L'existence ou la permanence de l'une est liée à l'indestructibilitéde l'autre; ce qui a existé existe toujours; rien ne se transforme etrien ne meurt; tout vit dans tout éternellement. La vie est fondée surles principes d'égalité et d'identité; aucun geste n'est supérieurni différent et toutes les manifestations de l'activité vitale, ouspécialement humaine, semblent bien équipollentes, toutes nées d'unevolonté unique, qui a des mystères, mais aussi des évidences.
Cependant les mystères, permettant à l'intelligence l'hésitation,justifient ses erreurs et ses fantaisies.
31 janvier 1897.
L'odeur idéale des roses qu'on ne
cueillera jamais.
«Cette cabane d'anachorète avec son toit de chaume et peut-être deroseaux, et sa porte en claie, et ses murs en terre battue, et la têtede mort dans un coin, et la cruche! Oui, mais la joie d'être seul, etle silence, et avoir écrasé le désir sous son pied nu!
Il y eut des temps où l'on courait au désert. Revenant de châtierquelques indociles Slaves, les soldats surpris croisaient un pèlerinqui allait s'agenouiller dans la solitude des dévastations nouvelles,planter entre Rome et les barbares le rempart d'une croix de bois. L'unpartait, ivre encore d'une rose trop passionnément respirée, et il sejetait le soir sur un tas de feuilles mortes; l'autre, tout troublé duparfum amer des philosophies maladives, taillait ses dernières sandalesdans le rouleau des Ennéades et fermait pour jamais son âme et ses yeuxaux voluptés intellectuelles; l'autre, qui avait été cruel, baisaitavant de fuir la main de ses esclaves torturés: tous se punissaientselon leur péché, mais ils avaient péché d'abord en aimant trop la vieet ils se destinaient à ne plus caresser que des fantômes, à ne plussourire qu'à l'invisible.
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Ceux-là étaient des chrétiens. Le paganisme aussi eut ses ermites, qued'orgueilleuses volontés séparaient du reste des hommes, admirableségoïstes enfin las de partager avec le commun des plaisirs vulgarisés,fragiles sensitifs blessés trois fois par jour au rude contact dela bestialité hirsute, mépriseurs qui, fatigués même de leur méprispour la médiocrité humaine, allaient essayer d'aimer les arbres etpeut-être, selon le commandement de Pythagore, d'adorer le souf