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BELLEFLEUR

ROMAN D'UN COMÉDIEN AU XVIIe SIÈCLE

Il a été tiré de cet ouvrage
Vingt exemplaires numérotés sur papier de Hollande
Exemplaire No 14

FRANÇOIS DE NION


BELLEFLEUR

ROMAN D'UN COMÉDIEN AU XVIIe SIÈCLE


PARIS

BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER

EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11

1903

Tous droits réservés.

BELLEFLEUR

ROMAN D'UN COMÉDIEN AU XVIIe SIÈCLE


I
LE PANIER D'ŒUFS

Je suis fils d'un homme de condition dont lepère avait été contraint de s'anoblir parce quele roi avait besoin d'argent pour ses guerres etses amours. Mon aïeul, qui ne prisait rien tantque la qualité de bourgeois et d'être appelé«honorable homme», ne fut pas trop satisfaitde devenir, de très bon roturier, assez médiocregentilhomme.

Mais sitôt qu'il fut décrassé de sa roture etnoble sans en avoir d'obligation à ses parents,2il commença d'éprouver un certain contentementde voir le messire devant son nom etl'écuyer à la queue, et quand le juge d'armes desa province lui eut bien fait des armoiries etqu'elles furent enregistrées, il crut, pour lecoup, n'avoir jamais été vilain et jura: «foide gentilhomme», comme s'il eût eu dans sagénéalogie Galaor, prince d'Achaïe, ou le grandCyrus, à la condition toutefois que ce roi desPersans eût pu faire ses preuves par devantM. d'Hozier.

Même la terre qu'il avait ayant eu autrefoisle titre de comté, il conçut le dessein de fairede son fils un seigneur titré et mourut dans letemps qu'il allait entreprendre le voyage deVersailles pour suivre un projet si raisonnableet d'une conséquence si grande. C'est pour cetteraison que, dès que j'eus passé des mains desfemmes dans celles des hommes, je fus appeléle chevalier de Lafontette, qui était le nom duchâteau où mes aïeux, les Morellet, avaient silongtemps payé la taille et s'étaient fait remplacerpour la corvée.

On me donna un gouverneur qui avait étécadet dans une compagnie de grenadiers forméepar M. le duc d'Aumont et licenciée après la3paix. Ce bon gouverneur m'apprit tout ce qu'ilsavait, c'est-à-dire à jurer le nom de Dieu enallemand, en flamand et en espagnol et même àfumer, dans une longue pipe de terre qu'il avaitrapportée de Hollande, un tabac qu'il disaitavoir recueilli en Catalogne. Il m'apprit aussi àcomposer des vers, art auquel il s'entendaitparfaitement parce qu'il avait été autrefoisamoureux d'une dame de la cour laquelle donnaitfort dans le bel-esprit, et il m'enseignait lacivilité, comme quoi il n'est pas décent debattre son laquais ou de peigner sa perruquelorsqu'on est en compagnie, et de quelle manièreil faut saluer un grand, la main dégantée ettouchant le parquet.

Cependant mes parents, s'étant à la fin avisésd'une certaine odeur qui remplissait la maisonet qui les incommodait particulièrement, eurentl'idée de monter à notre appartement d'où celaparaissait venir et d'ouvrir la porte de la salleoù nous ho

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