ŒUVRES
COMPLÈTES
DE
LAURENT STERNE.

NOUVELLE ÉDITION AVEC XVI GRAVURES.

TOME QUATRIÈME.

A PARIS,
Chez JEAN-FRANÇOIS BASTIEN.
AN XI.—1803.

Ce volume contient

La quatrième partie des Opinions deTristram Shandy.

VIE
ET OPINIONS
DE
TRISTRAM SHANDY.

CHAPITRE PREMIER.
Le pauvre et son chien.

Détestant, comme je l'ai dit, de faire desmystères pour rien, je dis mon secret aupostillon, dès que nous eûmes quitté le pavé.Il répondit à ma confiance, en appuyant ungrand coup de fouet à ses chevaux: si bienqu'au grand trot de son limonier (son porteurgalopant sur trois jambes), nous gagnâmesen assez peu de temps Ailly-le-haut-Clocher,ville jadis fameuse par les plusbeaux carillons du monde.—Mais nous latraversâmes sans musique; tous les carillonsétant dérangés, non-seulement là, mais bienencore ailleurs.

[Illustration]

Faisant donc toute la diligence possible,d'Ailly-le-haut-Clocher, je gagnai Flixcourt;de Flixcourt, Péquigny, puis enfin Amiens,—Amiens,où la belle Jeanneton avoit faitson apprentissage, mais où Jeanneton n'étoitplus, et où par conséquent rien n'étoit dignede m'arrêter.—

Mais en arrivant à la poste, on détela machaise, et l'on établit mes brancards sur destréteaux.—Quelle est cette mode, dis-je?prétend-on par-là me faire aller plus vîte?—J'apprisque le courrier d'une berline quialloit arriver, avoit retenu tous les chevaux,et que je ne pourrois partir qu'après que lesmiens auroient mangé l'avoine.

«Mais si monsieur veut descendre en attendant?»—

Monsieur préféra de rester dans sa chaise.—Maispour l'amour de Dieu, garçon, qu'onse dépêche.—…

....................

Je n'ai rien, mon bon-homme, lui dis-je.—C'étoità un vieillard couvert de haillons,qui s'étoit avancé jusqu'à deux pas de laportière, son bonnet de laine rouge à lamain.—Son geste et ses yeux demandoient,sa bouche ne parloit pas.—Il avoit un chienqui tenoit, ainsi que son maître, ses yeuxfixés sur moi, et qui sembloit aussi solliciterma charité.—

Je n'ai rien, dis-je une seconde fois.—C'étoità-la-fois un mensonge et un acte dedureté.—Je rougis de l'avoir dit.—Mais,pensai-je en moi-même, ces pauvres sont siimportuns!—Celui-là ne le fut pas.—Dieuvous conserve, dit-il;—et il se retira humblement.

Ho-hé, ho-hé!—vîte—les chevaux.—C'étoitla berline qui venoit d'arriver. Lespostillons coururent. Le bon vieillard et sonchien s'approchèrent, n'obtinrent rien, et seretirèrent sans murmure.

Celui qui vient d'avoir un tort, seroit fâchéde rencontrer quelqu'un qui, à sa place, nel'auroit pas eu. Si les voyageurs de la berlineeussent donné au pauvre, je crois que j'enaurois senti quelque peine.—Après tout,dis-je, ces gens-là sont plus riches que moi;et puisque… Bon Dieu! m'écriai-je, leurdureté excuseroit-elle la mienne?

Cette réflexion me mit mal avec moi-même.—Jecherchai des yeux le pauvre, commesi j'eusse voulu le rappeller.—Il s'étoitassis sur un banc de pierre, son chien vis-à-visde lui, et la tête appuyée entre les genouxde son maître, qui le flattoit de la main, sanslever les yeux de mon côté.

Sur le même banc je vis un soldat, queses souliers poudreux annonçoient pour unvoyageur. Il avoit posé son

...

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