OCTAVE MIRBEAU
TROISIÈME MILLE
PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR,
11, RUE DE GRENELLE, 11
1899
DANS LA BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER à 3 fr. 50 le volume. | |
Sébastien Roch. | 1 vol. |
DANS LA PETITE BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER à 4 fr. le volume. | |
Contes de la Chaumière, avec 2 eaux-fortes de Raffaëlli. | 1 vol. |
Paris.—L. Maretheux, imprimeur, 1, rue Cassette.
Quelques amis se trouvaient, un soir, réunis chez un de nos pluscélèbres écrivains. Ayant copieusement dîné, ils disputaient sur lemeurtre, à propos de je ne sais plus quoi, à propos de rien, sansdoute. Il n'y avait là que des hommes; des moralistes, des poètes, desphilosophes, des médecins, tous gens pouvant causer librement, au gréde leur fantaisie, de leurs manies, de leurs paradoxes, sans crainte devoir, tout d'un coup, apparaître ces effarements et ces terreurs que lamoindre idée un peu hardie amène sur le visage bouleversé desnotaires.—Je dis notaires comme je pourrais dire avocats ouportiers, non par dédain, certes, mais pour préciser un état moyen dela mentalité française.
Avec un calme d'âme aussi parfait que s'il se fût agi d'exprimer uneopinion sur les mérites du cigare qu'il fumait, un membre de l'Académiedes sciences morales et politiques dit:
—Ma foi!… je crois bien que le meurtre est la plus grandepréoccupation humaine, et que tous nos actes dérivent de lui…
On s'attendait à une longue théorie. Il se tut.
—Évidemment!… prononça un savant darwinien… Et vousémettez là, mon cher, une de ces vérités éternelles, comme endécouvrait tous les jours le légendaire M. de La Palisse…puisque le meurtre est la base même de nos institutions sociales, parconséquent la nécessité la plus impérieuse de la vie civilisée…S'il n'y avait plus de meurtre, il n'y aurait plus de gouvernementsd'aucune sorte, par ce fait admirable que le crime en général, lemeurtre en particulier sont, non seulement leur excuse, mais leurunique raison d'être… Nous vivrions alors en pleine anarchie, cequi ne peut se concevoir… Aussi, loin de chercher à détruire lemeurtre, est-il indispensable de le cultiver avec intelligence etpersévérance… Et je ne connais pas de meilleur moyen de cultureque les lois.
Quelqu'un s'étant récrié:
—Voyons! demanda le savant. Sommes-nous entre nous etparlons-nous sans hypocrisie?
—Je vous en prie!… acquiesça le maître de lamaison… Profitons largement de la seule occasion où il nous soitpermis d'exprimer nos idées intimes, puisque moi, dans mes livres, etvous, à votre cours, nous ne pouvons offrir au public que desmensonges.
Le savant se tassa davantage sur les coussins de son fauteuil, allongeases jambes qui, d'avoir été trop longtemps croisées l'une sur l'autre,s'étaient engourdies et, la tête renversée, les bras pendants, leventre caressé par une digestion heureuse, lança au plafond des rondsde fumée:
—D'ai