L’AFRIQUE AUX NOIRS


PAUL OTLET

L’AFRIQUE AUX NOIRS

BRUXELLES
FERDINAND LARCIER, ÉDITEUR
1888

[Pg 5]

L’AFRIQUE AUX NOIRS

Parmi les multiples faits divers quiencombrent quotidiennement les colonnesde nos journaux, nous pouvionslire, il y a quelques jours, les lignes suivantes:

LE MOÏSE NOIR

«Les journaux américains racontentqu’un grand émoi règne actuellementdans le monde noir de l’Amérique. Ilvient de paraître un prédicateur se[Pg 6]donnant pour le Moïse noir qui doitsauver les nègres de l’Afrique et ramenerceux du Nouveau-Monde dansleur ancienne patrie. Ce mahdi américainse nomme tout simplementGilles Moss; il habite Evansville, dansl’Indiana, il est âgé de 62 ans, etjusqu’à la guerre de sécession il étaitesclave. Bon orateur, Gilles s’estacquis une grande réputation desagesse parmi tous les noirs des États-Unis,et comme les blancs eux-mêmesont reconnu ses mérites, son renoms’est rapidement établi. Il conjure lesnoirs de se tenir prêts à s’embarquerpour aller brûler les faux dieux del’Afrique et convertir les cannibalesau christianisme; il tonne chaquedimanche du haut de la chaire et, letélégraphe aidant, tous les prédicateursnoirs de l’Union acclament d’enthousiasme[Pg 7]le prophète d’Evansville.Déjà des milliers d’hommes et defemmes se dirigent vers l’Indiana, et,dans le Nord, les familles noires mettenten ordre leurs affaires pour êtreprêtes à partir pour l’Afrique au premiersignal.»

Ce fait doit avoir pour nous plus quela valeur d’un simple fait divers. Il noussemble assez important pour être tiré del’oubli où il est tombé.

Ainsi donc les nègres d’Amérique seréveillent. Un Moïse noir s’est élevé aumilieu d’eux, prêchant non la guerresainte, mais un patriotique retour versle sol natal.

Pourquoi ce grand mouvement audelà de l’Océan?

Nous savons ce que sont les noirs[Pg 8]d’Amérique: Enlevés au foyer desancêtres par la force et la ruse des marchandsd’esclaves, courbés pendant plusde trois siècles sous le joug des colonsdu Nouveau-Monde, des millions dereprésentants de la race noire ont enfinété appelés à l’émancipation en 1865,après la grande guerre esclavagiste.

Mais l’émancipation ne leur a pasrendu de patrie. Libres aujourd’huisous le gouvernement de ceux qui furentleurs maîtres, ils ne peuvent jouir pleinementde leur liberté; riches, ils nedisposent à leur gré de leurs richesses;égaux en droit devant la constitutionaméricaine, ils ne le seront jamais enfait, devant les orgueilleux Yankees.—Lesemplois du pays, où ils se comptentpar millions, ne sont jamais pour eux;les rangs de la société ne s’ouvrent paspour les recevoir: ils ne rencontrent[Pg 9]partout que dédain, répugnance et froissementsd’amour-propre.

Cette situation nous a été révélée vingtfois par des voyageurs et des journalistesimpartiaux.

Comment s’étonner, dès lors, del’enthousiasme qu’excite le nouveauprophète. Sa voix qui prêche le rapatriementenflamme d’innombrables multitudes:Les nègres d’Amérique, quiaspirent depuis si longtemps après uneterre où ils puissent jouir de leur libertésans subir d’inévitables vexations, sansavoir, comme aux États-Unis, à déplorerleur origine d’affranchis, répondentà l’appel de leur Moïse en demandantà grands cris: «L’Afrique aux noirs!»

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