PREMIERS VERS
LES DÉSERTS DE L'AMOUR
LES ILLUMINATIONS
UNE SAISON EN ENFER
Table détaillée
RIMBAUD
Arthur Rimbaud fut un mystique à l'état sauvage,une source perdue qui ressort d'un sol saturé.Sa vie, un malentendu, la tentative en vain par lafuite d'échapper à cette voix qui le sollicite et lerelance, et qu'il ne veut pas reconnaître: jusqu'àce qu'enfin, réduit, la jambe tranchée, sur ce litd'hôpital à Marseille, il sache!
«Le bonheur! Sa dent, douce à la mort, m'avertissaittissait au chant du coq,—ad matutinum, au Christusvenit[1]—dans les plus sombres villes.»—
«Nous ne sommes pas au monde!»—« Par l'espriton va à Dieu!... C'est cette minute d'éveil quim'a donné la vision de la pureté... Si j'étais bienéveillé à partir de cette minute-ci...» (et toutle passage célèbre de la Saison en Enfer)...«Déchiranteinfortune!»
Comparez, entre maints textes, cette référenceque j'ose emprunter à Sainte Chantal (citée parl'abbé Brémond):
«Au point du jour, Dieu m'a fait goûter presqueimperceptiblement une petite lumière en la trèshaute suprême pointe de mon esprit. Tout le restede mon âme et ses facultés n'en ont point joui:mais elle n'a duré environ qu'un demi Ave Maria.»
Arthur Rimbaud apparaît en 1870, à l'un desmoments les plus tristes de notre histoire, en pleinedéroute, en pleine guerre civile, en pleinedéconfiture matérielle et morale, en pleine stupeurpositiviste. Il se lève tout à coup,—«commeJeanne d'Arc!» s'écriera-t-il plus tardlamentablement. Il faut lire dans le livre de PaterneBerrichon[2] le recit tragique de cette vocation. Maisce n'est pas une parole qu'il a entendue. Est-ce unevoix? Moins encore une: simple inflexion, maisqui suffit à lui rendre désormais impossible lerepos et «la camaraderie des femmes». Est-il doncsi téméraire de penser que c'est une volontésupérieure qui le suscite? dans la main de qui noussommes tous: muette et qui a choisi de se taire.Est-ce un fait commun que de voir un enfantde seize ans doué des facultés d'expression d'unhomme de génie? Aussi rare que cette louange deDieu dans la bouche d'un nouveau-né dont nousparlent les récits indubitables. Et quel nom donnerà un si étrange événement?
«Je vécus, étincelle d'or de la lumière nature!De joie, je prenais une expression bouffonne etégarée au possible.» Une ou deux fois, la note,d'une pureté édénique, d'une douceur infinie,d'une déchirante tristesse, se fait entendre auxoreilles d'un monde abject et abruti, dans le fracasd'une littérature grossière. Et cela suffît. «J'aibrassé mon sang. Mon devoir m'est remis.» Il afini de parler. On ne confie pas de secrets à uncœur descellé. Il ne lui reste plus qu'à se taire et à