COLLECTION HETZEL.
LA
FABRIQUE DE MARIAGES
PAR
PAUL FÉVAL.
VI
Édition autorisée pour la Belgique et l’Étranger,
interdite pour la France.
LEIPZIG,
ALPH. DURR, LIBRAIRE-ÉDITEUR.
—
1858
BRUXELLES.—TYP. DE J. VANBUGGENHOUDT,
Rue de Schaerbeek, 12.
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Il y avait, ma foi, six gros lampions le long de la ruelleSaint-Fiacre, depuis le boulevard extérieur jusqu’à la petite avenuede marronniers qui précédait le château de la Savate. On y voyaitassez pour distinguer les tas de boue dès qu’on avait trébuchédedans. Le vent couchait les flammes fumeuses et montrait çà etlà, sur les murailles mal crépies, les mains peintes dont le doigttendu et démesurément long indiquait la route à suivre pour gagnerl’établissement 8 de Jean-François Vaterlot, dit Barbedor.
Au bout de la ruelle, du côté du boulevard, un if se dressait, un if àsix pots, vis-à-vis duquel un poteau supportait une belle affiche rougeet jaune où le nom de Jean Lagard éclatait en caractères gigantesques.
De l’autre côté apparaissait une grande lueur. C’était la façade duchâteau de la Savate, illuminé à giorno par une douzaine et demie deverres de couleur, pour le moins.
Le mur d’octroi était-il ébréché? La barrière des Paillassonsétait-elle une vérité? Jean-François Vaterlot, plus fort que le destin,avait-il conquis le rameau d’or et franchi le seuil de son paradisterrestre?
Pas encore, mais patience! Paris n’a pas été bâti en un jour, et ilsont de l’occupation dans les ministères!
Pas encore; les gens en blouse, les gens en veste, les gens enpardessus doublé de soie, qui tournaient en ce moment l’angle de laruelle Saint-Fiacre, qui sur leurs souliers crottés, qui sur lescoussins de leur fiacre ou même de leur équipage, avaient tous étéforcés de prendre la barrière de l’École ou la barrière de Sèvres: unedes deux coquines.
Comme, encore aujourd’hui, les navigateurs sont 9 obligés de doublerle cap Horn, parce que Panama n’est pas percé, et de doubler le cap deBonne-Espérance, parce qu’il reste à Suez quelques kilomètres de sable,protégés par la joyeuse Angleterre.
Mais Jean-François Vaterlot avait oublié pour ce soir les ambitieuxdésirs et les hautes aspirations qui dominaient sa vie. L’histoirerapporte que Christophe Colomb lui-même faisait trêve parfois à sessonges sublimes. L’illustre Génois disait en ces occasions: «A demainla terre promise!» Aujourd’hui, Barbedor disait: «A demain la barrièredes Paillassons!»
Ce soir, le château de l