Mes Origines.


Mémoires et récits.
(Traduction du provençal)


par Frédéric Mistral.





CHAPITRE I.

AU MAS DU JUGE.

Les Alpilles. -- La chanson de Maillane. -- Ma famille. --Maître
François, mon père. -- Délaïde, mamère. -- Jean du Porc. -- L'aïeul
Étienne. -- La mère-grand Nanon. -- La foire deBeaucaire. -- Les
fleurs de glais.

D'aussi loin qu'il me souvienne, je vois devant mes yeux, auMidi
là-bas, une barre de montagnes dont les mamelons, lesrampes, les
falaises et les vallons bleuissaient du matin aux vêpres,plus ou
moins clairs ou foncés, en hautes ondes. C'est lachaîne des
Alpilles, ceinturée d'oliviers comme un massif de rochesgrecques, un
véritable belvédère de gloire et delégendes.

Le sauveur de Rome, Caïus Marius, encore populaire danstoute la
contrée, c'est au pied de ce rempart qu'il attendit lesBarbares,
derrière les murs de son camp; et ses trophéestriomphaux, à
Saint-Rey sur les Antiques, sont, depuis deux mille ans,dorés par le
soleil. C'est au penchant de cette côte qu'on rencontreles tronçons
du grand aqueduc romain qui menait les eaux de Vaucluse dansles
Arènes d'Arles: conduit que des gens du pays nommentOuide di
Sarrasin (pierrée des Sarrasins), parce que c'estpar là que les
Maures d'Espagne s'introduisirent dans Arles. C'est sur lesrocs
escarpés de ces collines que les princes des Baux avaientleur
château fort. C'est dans ces vals aromatiques, aux Baux,à Romanin
et à Roque-Martine, que tenaient cour d'amour les belleschâtelaines
du temps des troubadours. C'est à Mont-Majour quedorment, sous les
dalles du cloître, nos vieux rois arlésiens. C'estdans les grottes
du Vallon d'Enfer, de Cordes, qu'errent encore nos fées.C'est sous
ces ruines, romaines ou féodales, que gît laChèvre d'Or.

Mon village, Maillane, en avant des Alpilles, tient le milieude la
plaine, une large et riche plaine, qu'en mémoirepeut-être du consul
Caïus Marius on nomme encore Le Caieou.

-- Quand je luttais, me disait une fois le petit Maillanais,-- un
vieux lutteur de l'endroit, -- j'ai beaucoup voyagé, enLanguedoc
comme en Provence... Mais jamais je ne vis une plaine aussi unieque
ce terroir. Si, depuis la Durance jusqu'à la mer,là-bas, on tirait
un trait de charrue droit comme une chandelle, un sillon devingt
lieues, l'eau y courrait toute seule, rien qu'au niveaupendant.
Aussi, quoique nos voisins nous traitent demange-grenouilles, les
Maillanais convinrent toujours que, sous la chape du soleil, iln'est
pas de pays plus joli que le leur et, un jour qu'ilsm'avaient
demandé quelques couplets pour la chorale du village,voici, à ce
propos, les vers que je leur fis:

Maillane est beau, Maillane plaît -- et se fait beaude plus en
plus; Maillane ne s'oublie jamais; -- il est l'honneur de lacontrée
-- et tient son nom du mois de Mai.

Que vous soyez à Paris ou à Rome, -- pauvresconscrits, rien ne vous
charme; -- Maillane est pour vous sans pareil -- et vousaimeriez y
manger une pomme -- que dans Paris un perdreau.

Notre patrie n'a pour remparts -- que les grandes haies decyprès --
que Dieu fit tout exprès pour elle; -- et quand selève le mistral,
-- il ne fait que branler le berceau.

Tout le dimanche on fait l'amour; -- puis au travail, sanstrêve, --
s'il faut le lundi se ployer, --nous buvons le vin de nosvignes,
nous mangeons le pain de nos blés.

La vieille bastide où je naquis, en face des Alpilles,touchant

...

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