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par
Je pourrais m'enorgueillir du succès de ce roman, si je ne croyaisbeaucoup aux bonnes fortunes littéraires. L'opinion est comme la merqui prend un navire pour le conduire au rivage ou pour l'abîmer dansla tempête, selon le mouvement de ses caprices. La première éditiondes Grandes Dames a paru au mois de mai 1868, en quatre volumesin-8° imprimés à cinq mille exemplaires. Quelques jours après, Dentum'envoyait cette dépêche: «Réimprimons encore cinq mille exemplaires.»Ce ne fut pas tout, on réimprima un si grand nombre d'éditions qu'onne les compte plus aujourd'hui. Pourquoi cette curiosité? Je veux biencroire qu'on trouvait du plaisir à lire Les Grandes Dames, maiscombien d'autres romans qui n'étaient pas moins dignes de curiositérestaient-ils oubliés chez les libraires? C'est que j'avais galammentdémasqué tout un monde inconnu, vivant alors comme les dieux del'Olympe au delà du monde connu. Il y eut en effet, pendant le secondempire, une période inouïe d'aventures amoureuses encadrées danstoutes les folies du luxe. On ne croyait plus qu'à la politiquedes femmes; l'horloge ne sonnait plus que l'heure à cueillir; ons'imaginait que la civilisation avait dit son dernier mot. Aussicourait-on de fêtes en fêtes sans entrevoir la guerre et larévolution, qui s'armaient pour les combats, pour les défaites, pourles déchéances. Qui donc prévoit l'orage pour le lendemain, hormisceux qui s'écrient le surlendemain: «Je vous l'avais bien dit.»Moi-même n'ai-je pas inconsciemment donné le couronnement de toutesles fêtes de l'Empire par me trop célèbres redoutes vénitiennes, oùles plus grands personnages et les plus grandes dames auraient puécouter des vérités dites sous le masque. Mais on riait de tout parcequ'on ne croyait plus à rien.
J'ai donc peint à vif les passions parisiennes de ce temps passé,—etbien passé.—Le succès m'entraîna à écrire les Parisiennes et lesCourtisanes du monde: tout cela ne formait pas moins de douze volumesin-8°. Mais je suis comme mon compatriote Lafontaine: «Les longsouvrages me font peur,» voilà pourquoi je me contente aujourd'hui dene réimprimer que Les Grandes Dames. Et encore je me suis obstiné àmettre les quatre volumes in-8° en un seul volume in-18, rejetantquelques épisodes, mais conservant tout ce qui est l'âme du livre.«Les Grandes Dames appartiennent à l'histoire littéraire, a ditNestor Roqueplan, parce qu'elles sont une page de notre vie intimeau XIXe siècle.» Toute la critique, d'ailleurs, a été douce à ce roman,Paul de Saint-Victor comme Nestor Roqueplan, Henry de Pène commeThéophile Gautier. On a reconnu dans Octave de Parisis l'éternellefigure de Don Juan entraînant les femmes affolées dans le cortège desâpres voluptés qui les brûlent toutes vives. Mais Don Juan trouvetoujours son maître.
Le duc de Parisis, qui était fort beau, portait dans sa figure lamarque de la fatalité. Toutes les femmes qui l'ont aimé ressentaienttoutes dans le coeur, aux meilleurs jours de leur passion, je ne saisquelle secrète épouvante. Aussi plus d'une confessait qu'à certainesheures elles croyaient sentir les étreintes du diable quand elles sejetaient dans ses bras.
A chaque période, à Paris surtout, depuis que Paris est la capitaledes passions, un homme s'est révélé qui prenait—presque toutes lesfemmes—pour les aimer un jour et pour les rejeter hors de sa vie,toutes brisées, dans les larmes éternelles, ne po