PAR
ÉDOUARD CORBIÈRE,
AUTEUR DE
LE NÉGRIER.—LE BANIAN.—LES ASPIRANS, ETC.
I
PARIS
WERDET, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
49, RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIN.
1838
En composant ce nouvel ouvrage, j'aivoulu mettre en présence et en oppositiontrois hommes agissant avec la plus entièreliberté, sous l'influence de causes diverses,pour arriver au même but ou plutôt aumême crime. L'un de mes personnages estun jeune officier de marine, dont l'éducationa été gâtée; l'autre un matelot privéd'éducation et n'obéissant qu'aux instinctsde sa nature grossière; le troisième, enfin,est un séminariste chez qui l'éducation n'aservi qu'à fortifier les plus funestes penchans.Le premier s'égare faute de guide,le second faute de frein et d'intelligence,le dernier ne s'égare pas, tant s'en faut;il marche au mal par calcul, et en pesantfroidement le bien personnel qui pourrarésulter pour lui, mais pour lui seul, dumal qu'il fera aux autres. On doit plaindrel'officier, on peut mépriser le matelot, maisà coup sûr, après avoir lu l'ouvrage, il seraimpossible de ne pas détester le séminariste.
Du rapprochement de ces trois individualités,et de leur manière différente depenser et de se conduire, naît tout l'intérêtphilosophique que j'ai cherché à répandresur mon livre. Les événemens quej'ai retracés, ne doivent contribuer qu'audéveloppement des caractères de mes personnages,et ces événemens n'arrivent surle premier plan que pour donner de lasaillie aux figures les plus importantes demon petit tableau. Ce n'est pas de l'histoire,enfin, que j'ai voulu écrire en laissanttomber sur des faits avérés, quelqueslambeaux de fictions. C'est plutôt une idéemorale que je me suis efforcé d'élever surle fond d'un assez grand nombre d'aventuresplus ou moins connues. La vérité desincidens, et la nature même des moyensque l'on emploie, sont peu de chose en pareillematière: ce qu'il m'importait d'atteindre,c'était le but. L'ai-je atteint? c'estla question.
J'aurais fort bien pu, et je le sais, pourexécuter le plan que j'avais conçu, lancerd'un seul jet d'imagination, tous mes personnagesdans le tourbillon de la société,au lieu de les envoyer sur mer, chercherisolément les destinées qu'il m'a plu de leurréserver, si loin de tous les usages reçusdans le beau monde littéraire. Mais enadoptant ce parti que la critique n'auraitpas manqué de me conseiller, si j'avaisd'avance consulté la critique, il m'auraitfallu renoncer à un avantage dont j'ai depuislong-temps appris à mesurer toutel'étendue. La terre, me suis-je dit, commenceà être bien usée et à se faire bienvieille, pour le roman tel qu'on le fait depuistrois siècles en France. A terre, d'ailleurs,des hommes comme ceux que je suishabitué à mettre en relief, ne pourraientguère se mouvoir sans rencontrer à chaquepas, des lois qui les arrêteraient, ouun joug sous lequel se briserait ou s'effaceraitla fougue de leurs passions oul'empreinte de leur mâle caractère. Mais àla mer, où les plus mauvais penchans, librescomme les flots qui les emportent, peuventse développer en toute sécurité et avec touteimpunité, l'imagination du romancier sesent plus à l'aise; et si elle ne grandit pastoujours assez pour remplir l'espace immensequ'elle s'est ouvert devant elle, dumoins peut-elle espérer de trouver là d'autresobjets et d'autres aventures que desmœurs de convention et des intrigues deboudoir. La nouveauté, même la plus vulgaire,n'est pas chose tellement communeen littérature, qu'on doive dédaigner de lacherch