UN JARDIN SUR L'ORONTE

Par

MAURICE BARRÈS

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT ET Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
8, RUE GARANCIÈRE-6e
1922


UN JARDIN SUR L'ORONTE


A la fin d'une brûlante journée de juin 1914, j'étais assis au bord del'Oronte dans un petit café de l'antique Hamah, en Syrie. Les rouesruisselantes qui tournent, jour et nuit, au fil du fleuve pour enélever l'eau bienfaisante, remplissaient le ciel de leur gémissement,et un jeune savant me lisait dans un manuscrit arabe une histoired'amour et de religion.... Ce sont de ces heures divines qui demeurentau fond de notre mémoire comme un trésor pour nous enchanter.

Pourquoi me trouvais-je ce jour-là dans cette ville mystérieuse et sisèche d'Hamah, où le vent du désert soulève en tourbillons la poussièredes Croisés, des Séleucides, des Assyriens, des Juifs et des lointainsPhéniciens? J'y attendais que fût organisée une petite caravane aveclaquelle j'allais parcourir les monts Ansariehs, pour rechercher dansleurs vieux donjons les descendants des fameux Haschischins. Et cejeune savant, un Irlandais, chargé par le British Museum des fouillesde Djerablous sur l'Euphrate, une heureuse fortune venait de me lefaire rencontrer qui flânait comme moi dans les ruelles du bazar.

Deux Européens perdus au milieu de ces maisons aveugles etmuettes, sous un soleil torride, ont tôt fait de s'associer.C'était d'ailleurs, cet Irlandais, un de ces hommes d'imaginationimprovisatrice qui savent animer chaque minute de la vie et chez quil'effroyable chaleur de l'été syrien développe cette sorte de poésiequi vient du frémissement des nerfs à nu, une poésie d'écorché vif.Après avoir parcouru la ville et poussé jusqu'aux jardins, qui laprolongent durant quelque cent mètres sur le fleuve, nous avions vutout et rien. Quel esprit se cache dans Hamah? A quoi songent cesSyriens? On voudrait comprendre, on voudrait apercevoir dans ce décormonotone, au cœur de ces petites maisons, toutes pareilles et toutesfermées, plus que des intérieurs de patios, des intérieurs d'âmes.

—Ne pensez-vous pas, me dit l'Irlandais, que le mieux seraitmaintenant que nous cherchions des antiquités?

Un indigène nous conduisit devant une porte qu'il heurta d'une suite decoups convenus, et après quelques pourparlers et les cinq minutes qu'ilfallut pour que les femmes se retirassent, nous fûmes introduits dansun divan, où, le café servi, un juif nous montra ses trésors: deux outrois bustes funéraires de Palmyre, qu'il débarrassa des linges qui lesenveloppaient comme les bandelettes d'une momie, des monnaies d'or etd'argent à l'effigie des empereurs syriens, et un manuscrit arabe.

—Le manuscrit, me dit l'Irlandais, après un examen rapide, est d'uneécriture médiocre, mais à première vue il me semble très curieux. Ilpourrait être d'un de ces métis d'Occidentaux et d'indigènes que lesCroisés appelaient, ici, des Poulains et, en Grèce, des Gasmules. LesPoulains (d'où vient ce nom, je l'ignore) étaient les produits de pèrefranc et de mère syrienne, ou de père syrien et de mère franque. Leursécrits sont rares, et, comme vous pensez, d'un esprit plutôt singulier.Il est vraisemblable que l'auteur de la Chronique grecque de Moréeétait un Gasmule, et le récit que voici peut provenir de quelquePoulain appartenant à la maison d'un baron à qui le rattachait sanaissance et qu'il servait comme interprète pour les langues orientales.

C'était une heureuse trouvaille. Mon compagnon acheta les précieuxfeuillet

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