PAR
JEHAN D’ARRAS
Nouvelle édition, conforme à celle de 1478revue et corrigée
AVEC UNE PRÉFACE
PAR M. CH. BRUNET
Inspecteur général
Chef de bureau au Ministère de l’Intérieur
A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
MDCCCLIV
Paris. Imprimerie Guiraudet et Jouaust, 338, r. S.-Honoré.
Le roman de Melusine est un des plusintéressants de l’époque ancienne. Lestyle en est simple, souvent naïf, et,dans plusieurs passages, il ne manquepas d’une certaine élévation. Les nocesde Raimondin présentent un tableau qui a dela majesté ; les instructions données par Mélusineà deux de ses enfants, Urian et Guion, au momentoù ils vont porter secours au roi de Chypre,assiégé par le soudan de Damas, sont d’un espritjuste et droit. Les regrets de Geoffroy à la GrantDent, lorsqu’il a brûlé l’abbaye de Maillières, etfait périr son frère Froimond avec les autres moines ;ceux de Raimondin lors du départ de Mélusine,sont rendus d’une manière touchante. L’on nepeut lire cet ouvrage sans être attendri sur le sortde Mélusine, et l’on regrette cette pauvre serpente,si malheureuse de quitter son mari, ses enfants,les lieux où elle était aimée et honorée, et obligéede subir sa pénitence jusqu’au jour du jugement.
La légende de Mélusine a été pendant bien longtempstrès populaire en France, et particulièrementdans le Poitou, contrée où, suivant la VrayeChronique, se sont passés les faits qui lui ont donnétant de célébrité. Si l’histoire de Mélusine s’est unpeu effacée de la mémoire du peuple, du moinsn’en est-il pas ainsi de son nom, car il est peu delocalités où l’on ne se serve encore de cette locutiondevenue proverbiale : Faire des cris de Mélusine,ou de Merlusine.
Sans doute il en est de la légende de Mélusinecomme de la plupart des autres légendes : elle a unfond historique. Nous n’avons pas l’intention d’examinerici si Mélusine est bien Mélisende, veuved’un roi de Jérusalem, comme on peut l’inférer del’Histoire des Croisades de Guillaume de Tyr, oubien encore Eustache Chabot, dame de Vouvantet de Mervant, femme de Geoffroy de Lusignan,ainsi que l’ont prétendu MM. de Sainte-Hermine etCharles Arnaud, d’après le bénédictin dom Fonteneau.C’est une question dont nous laissons la solutionà de plus doctes que nous. Notre seul but aété de donner une nouvelle édition de l’ouvrage deJean d’Arras.
La Melusine, réimprimée tant de fois, est devenuesi rare qu’il est à peu près impossible de s’enprocurer un exemplaire d’une bonne édition, etque les mauvaises éditions tronquées, imprimées àTroyes, chez la veuve Oudot, se vendent des prixtrès élevés, et encore en rencontre-t-on fort peusouvent.
Les diverses éditions du roman de Melusine diffèrentnotablement entre elles. Nous avons dû rechercherle meilleur texte, et notre choix s’est arrêtésur celui de l’édition « imprimée par maistreSteinschaber, natif de Suinfurt, en la noble cité deGenève, l’an de grâce 1478, au mois d’aoust », in-fol.gothique, avec des figures en bois.
Notre savant homonyme s’exprime ainsi sur cetteédition, dans son Manuel du Libraire : « Voici uneédition fort précieuse, et la première, sans doute,de ce célèbre roman. Elle a été précédemment attribuéeà Mathis Husz, imprimeur à Lyon vers1480, d’après l’exemplaire de la bibliothèqueRoyale, dans lequel il manque