MISES DANS UN NOUVEL ORDRE,
Je tâche d'y tourner le vice en ridicule,Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.La Font. Fables, liv. V, 1.
DE L'IMPRIMERIE DE GUILLEMINET.
A PARIS,
A LA LIBRAIRIE ÉCONOMIQUE,
rue de la Harpe, no 117.
AN IX.
Il y a quelque temps qu'un de mes amis,me voyant occupé de faire des fables,me proposa de me présenter à un de sesoncles, vieillard aimable et obligeant,qui, toute sa vie, avait aimé de prédilectionle genre de l'apologue, possédaitdans sa bibliothèque presque tous les fabulistes,et relisait sans cesse La Fontaine.
J'acceptai avec joie l'offre de mon ami:nous allâmes ensemble chez son oncle.
Je vis un petit vieillard de quatre-vingtsans à-peu-près, mais qui se tenaitencore droit. Sa physionomie était douceet gaie, ses yeux vifs et spirituels; sonvisage, son souris, sa manière d'être,annonçaient cette paix de l'ame, cettehabitude d'être heureux par soi qui secommunique aux autres. On était sûr,au premier abord, que l'on voyait unhonnête homme que la fortune avait respecté.Cette idée faisait plaisir, et préparaitdoucement le cœur à l'attraitqu'il éprouvait bientôt pour cet honnêtehomme.
Il me reçut avec une bonté francheet polie, me fit asseoir près de lui, mepria de parler un peu haut, parce qu'ilavait, me dit-il, le bonheur de n'êtreque sourd; et, déjà prévenu par sonneveu que je me donnais les airs d'êtreun fabuliste, il me demanda si j'auraisla complaisance de lui dire quelques unsde mes apologues.
Je ne me fis pas presser, j'avais déjàde la confiance en lui. Je choisis promptementcelles de mes fables que je regardaiscomme les meilleures; je m'efforçaide les réciter de mon mieux, deles parer de tout le prestige du débit, deles jouer en les disant; et je cherchaidans les yeux de mon juge à deviner s'ilétait satisfait.
Il m'écoutait avec bienveillance, souriaitde temps en temps à certains traits,rapprochait ses sourcils à quelques autres,que je notais en moi-même pourles corriger. Après avoir entendu unedouzaine d'apologues, il me donna cetribut d'éloges que les auteurs regardenttoujours comme le prix de leur travail,et qui n'est souvent que le salaire de leurlecture. Je le remerciai, comme il melouait, avec une reconnaissance modérée;et, ce petit moment passé, nous commençâmesune conversation plus cordiale.
J'ai reconnu dans vos fables, me dit-il,plusieurs sujets pris dans des fables anciennesou étrangères.
Oui, lui répondis-je, toutes ne sontpas de mon invention. J'ai lu beaucoupde fabulistes; et lorsque j'ai trouvé dessujets qui me convenaient, qui n'avaientpas été traités par La Fontaine, je neme suis fait aucun scrupule de m'en emparer.J'en dois quelques uns à Ésope, àBidpaï, à Gay, aux fabulistes allemands,beaucoup plus à un Espagnol nomméYriarté, poète dont je fais grand cas, etqui m'a fourni mes apologues les plusheureux. Je compte bien en prévenir lepub