A MES PETITES-FILLES
CAMILLE ET MADELEINE
DE MALARET
Mes très chères enfants,
Voici les contes dont le récit vous a tant amusées,et que je vous avais promis de publier.
En les lisant, chères petites, pensez à votre vieillegrand'mère, qui, pour vous plaire, est sortie de sonobscurité et a livré à la censure du public le nom de la
COMTESSE DE SÉGUR,
née ROSTOPCHINE.
Il y avait un roi qui s'appelait Bénin; tout lemonde l'aimait, parce qu'il était bon; les méchantsle craignaient, parce qu'il était juste. Sa femme, lareine Doucette, était aussi bonne que lui. Ils avaientune petite princesse qui s'appelait Blondine à causede ses magnifiques cheveux, blonds, et qui étaitbonne et charmante comme son papa le roi et commesa maman la reine. Malheureusement la reine mourutpeu de mois après la naissance de Blondine, etle roi pleura beaucoup et longtemps. Blondine étaittrop petite pour comprendre que sa maman étaitmorte: elle ne pleura donc pas et continua à rire,à jouer, à téter et à dormir paisiblement. Le roiaimait tendrement Blondine, et Blondine aimait leroi plus que personne au monde. Le roi lui donnaitles plus beaux joujoux, les meilleurs bonbons, lesplus délicieux fruits. Blondine était très heureuse.
Un jour, on dit au roi Bénin que tous ses sujetslui demandaient de se remarier pour avoir un filsqui pût être roi après lui. Le roi refusa d'abord;enfin il céda aux instances et aux désirs de sessujets, et il dit à son ministre Léger:
«Mon cher ami, on veut que je me remarie; jesuis encore si triste de la mort de ma pauvrefemme Doucette, que je ne veux pas m'occupermoi-même d'en chercher une autre. Chargez-vousde me trouver une princesse qui rende heureusema pauvre Blondine: je ne demande pas autrechose. Allez, mon cher Léger; quand vous aureztrouvé une femme parfaite, vous la demanderez enmariage et vous l'amènerez.»
Léger partit sur-le-champ, alla chez tous lesrois, et vit beaucoup de princesses, laides, bossues,méchantes; enfin il arriva chez le roi Turbulent,qui avait une fille jolie, spirituelle, aimable et quiparaissait bonne. Léger la trouva si charmantequ'il la demanda en mariage pour son roi Bénin,sans s'informer si elle était réellement bonne. Turbulent,enchanté de se débarrasser de sa fille, quiavait un caractère méchant, jaloux et orgueilleux,et qui d'ailleurs le gênait pour ses voyages, seschasses, ses courses continuelles, la donna tout desuite à Léger, pour qu'il l'emmenât avec lui dansle royaume du roi Bénin.
Léger partit, emmenant la princesse Fourbetteet quatre mille mulets chargés des effets et desbijoux de la princesse.
Ils arrivèrent chez le roi Bénin, qui avait étéprévenu de leur arrivée par un courrier; le roivint au-devant de la princesse Fourbette. Il latrouva jolie; mais qu'elle était loin d'avoir l'airdoux et bon de la pauvre Doucette! Quand Fourbettevit Blondine, elle la regarda avec des yeux siméchants, que la pauvre Blondine, qui avait déjàtrois ans, eut peur et se mit à pleurer.
«Qu'a-t-elle? demanda le roi. Pourquoi madouce et sage Blondine pleure-t-elle comme unenfant méchant