Les anciens racontent que les éléphants ont écrit des sentencesen grec et que l'un d'eux, même, a parlé. Il n'y a donc riend'invraisemblable à ce que l'éléphant blanc dont il s'agit ici, lefameux Iravata, si célèbre dans toute l'Asie, ait pu écrire sesmémoires.
L'histoire de sa longue existence, tantôt glorieuse, tantôt misérable,à travers le royaume de Siam, l'Inde des maharajahs et des Anglais, estd'ailleurs pleine d'imprévu et des plus curieuses.
Après avoir été presque une idole, Iravata devient un guerrier; il estfait prisonnier avec son maître qu'il délivre et sauve de la mort. Puisil est jugé digne d'être le gardien et l'ami de la merveilleuse petiteprincesse Parvati, pour laquelle il invente d'extraordinaires jeux etqui le réduit en un doux esclavage.
On verra comment un vilain sentiment, qui se glisse dans le cœur dubon éléphant, si sage d'ordinaire le sépare pour longtemps de sa chèreprincesse, le jette dans les aventures de toutes sortes et lui cause decuisants chagrins. Mais enfin, il retrouve sa fidèle amie et le pardonlui rend le bonheur.
Ce que je dois dire tout d'abord, c'est comment j'ai appris à écrire.Cela m'arriva cependant assez tard dans ma longue vie, mais il me fautl'expliquer en commençant, car il paraît que vous, les hommes, quienseignez tant de travaux à ceux de ma race, n'avez pas coutume de leurfaire faire leurs classes, et un éléphant capable de lire et d'écrireest un phénomène assez rare pour être incroyable.
Je dis rare, car j'ai entendu affirmer que mon cas n'est pas unique.
Pendant ma longue fréquentation des hommes, j'étais parvenu àcomprendre beaucoup de leurs paroles, je savais même plusieurs langues;le siamois, l'hindoustani et un peu d'anglais. J'aurais pu parler,je m'y essayais quelquefois; mais je ne produisais que des sonsextraordinaires qui faisaient rire mes maîtres et épouvantaient leséléphants, mes compagnons, quand il leur était donné de m'entendre, carcela ne ressemblait pas plus à leur langage que, paraît-il, à celui deshommes.
J'avais près de soixante ans, ce qui est la fleur de la jeunesse pournous, lorsque le hasard me permit d'apprendre à tracer des lettres et àécrire des mots que je ne parvenais pas à prononcer.
L'enclos qui m'était réservé, dans le palais de Golconde, et oùj'étais absolument libre, était borné d'un côté par un mur de briquesémaillées, bleues et vertes, assez haut, mais qui m'arrivait juste àl'aisselle; je pouvais donc, si cela m'amusait, regarder par-dessus lemur tout à mon aise.
Je me tenais de préférence à cet endroit, à cause de grands tamariniersqui projetaient une ombre fraîche des plus agréables. J'avais beaucoupde loisirs, j'étais même désœuvré, car je ne servais plus guère qu'auxpromenades; mon bain pris, ma toilett