Émile Gaboriau
PAR
ÉMILE GABORIAU
SIXIÈME ÉDITION
(1869)
I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX, XX, XXI, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI, XXVII, XXVIII
À mon ami,
LE DOCTEUR GUSTAVE MALLET.
Le 9 juillet 186.., un jeudi, Jean Bertaud, dit La Ripaille, et sonfils, bien connus à Orcival pour vivre de braconnage et de maraude, selevèrent sur les trois heures du matin, avec le jour, pour aller à lapêche.
Chargés de leurs agrès, ils descendirent ce chemin charmant, ombragéd’acacias, qu’on aperçoit de la station d’Évry, et qui conduit du bourgd’Orcival à la Seine.
Ils se rendaient à leur bateau amarré d’ordinaire à une cinquantaine demètres en amont du pont de fil de fer, le long d’une prairie joignantValfeuillu, la belle propriété du comte de Trémorel.
Arrivés au bord de la rivière, ils se débarrassèrent de leurs engins depêche, et Jean La Ripaille entra dans le bateau pour vider l’eau qu’ilcontenait.
Pendant que d’une main exercée il maniait l’écope, il s’aperçut qu’undes tolets de la vieille embarcation, usé par la rame, était sur lepoint de se rompre.
—Philippe, cria-t-il à son fils, occupé à démêler un épervier dont ungarde-pêche eût trouvé les mailles trop serrées, Philippe, tâche donc dem’avoir un bout de bois pour refaire notre tolet.
—On y va, répondit Philippe.
Il n’y avait pas un arbre dans la prairie. Le jeune homme se dirigeadonc vers le parc de Valfeuillu, distant de quelques pas seulement, et,peu soucieux de l’article 391 du Code pénal, il franchit le large fosséqui entoure la propriété de M. de Trémorel. Il se proposait de couperune branche à l’un des vieux saules qui, à cet endroit, trempent au filde l’eau leurs branches éplorées.
Il avait à peine tiré son couteau de sa poche, tout en promenant autourde lui le regard inquiet du maraudeur, qu’il poussa un cri étouffé.
—Mon père! eh! mon père!
—Qu’y a-t-il, répondit sans se déranger le vieux braconnier.
—Père, venez, continua Philippe, au nom du ciel, venez vite!
Jean La Ripaille comprit à la voix rauque de son fils, qu’il se passaitquelque chose d’extraordinaire. Il