Sauvageonne

PAR
ANDRÉ THEURIET

DIX-SEPTIÈME ÉDITION

PARIS
PAUL OLLENDORFF, EDITEUR,
28 bis, RUE DE RICHELIEU, 28 bis

1894
Tous droits réservés.

DU MÊME AUTEUR

La Maison des Deux Barbeaux. — Le Sang desFinoël. 1 vol. gr. in-183 fr. 50
Les Mauvais Ménages. 1 vol. gr. in-183 fr. 50
Michel Verneuil. 1 vol gr. in-183 fr. 50
Eusèbe Lombard. 1 vol. gr. in-183 fr. 50

Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous lespays, y compris la Suède et la Norvège.

S’adresser, pour traiter, à M. Paul Ollendorff, Editeur, rue deRichelieu, 28 bis, Paris.

Il a été tiré de cet ouvrage quinze exemplairessur papier vergé de Hollande.

SAUVAGEONNE

PREMIÈRE PARTIE

I

Les cloches de la petite église d’Auberivesonnaient le dernier coup de vêpres. Lesdeux chiens-loups de l’épicier Sausseret, dontles nerfs étaient sans doute désagréablementébranlés par le timbre grêle de la sonnerie,s’étaient élancés hors de la boutique de leurmaître, et, le nez en l’air, les oreilles couchées,accompagnaient les cloches d’un longglapissement plaintif. Deux ou trois dévotes,frileusement enveloppées dans des pelisses àcapuchon, leur paroissien à la main, se hâtaientvers l’église, dont la flèche pointue dépassaitles arbres du quartier des Corderies :on voyait leurs silhouettes noires se détacheren perspective sur le cailloutis blanc de la ruemontante. Le nouveau garde-général, FrancisPommeret, sortit à son tour de l’auberge duLion d’or, où il logeait, et suivit la route quicoupe le village dans sa longueur. Le garde-généralétait en tenue : tunique verte serréesur les hanches, pantalon gris à la hussarde,képi à galon d’argent et gants de peau de daim.Installé depuis peu, il avait choisi ce dimanchede février pour faire ses visites d’arrivée.

Il cheminait lentement entre les maisonsbasses qui bordent la route ; de temps entemps, un coin de rideau se soulevait à unefenêtre et deux yeux curieux dévisageaient lenouveau fonctionnaire. Le jeune homme, dureste, valait la peine qu’on le regardât. Grand,bien découplé, la taille fine, la poitrine bombée,la barbe blonde en éventail, l’air aimableet l’œil caressant, il semblait très fier de sabonne mine et de ses vingt-quatre ans épanouis.Issu d’une famille bourgeoise médiocrementrentée, mais chargée d’enfants, ilavait honnêtement pioché au collège, étaitentré dans un rang honorable à l’école forestière,et, après deux ans de stage dans uneville de l’Est, l’administration venait de lenommer garde-général à Auberive. — Pour unforestier pur sang, ce village de cinq centsâmes, perdu au cœur de la montagne langroise,eût été une résidence de choix : troislieues de forêts faisaient alentour la solitudeet la paix, et de magnifiques futaies abritaientpresque de leurs branches extrêmes les jardinset les vergers de la localité. SeulementFrancis Pommeret n’avait pas le feu sacré ; ilétait entré dans l’administration forestière,non par goût, mais parce qu’il fallait choisirune carrière, l’exiguïté du patrimoine paternelne lui permettant pas de vivre en oisif.Son choix avait été princi

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