Jean
de Kerdren

ParJeanne Schultz

Nelson
Éditeurs
189, rue Saint-Jacques
Paris
Calmann-Lévy
Éditeurs
3, rue Auber
Paris

JEANNE SCHULTZ
née en 1870

Première édition de « Jeande Kerdren » : 1890

JEAN DE KERDREN

I

L’un après l’autre, les canots venaient seranger au pied des escaliers volants, commedes équipages bien stylés devant la marquised’un hôtel. Lestement, avec la vivacité de gensqui vont à leurs plaisirs, les officiers descendaientet s’asseyaient sur les bancs garnis detapis. Puis, sur le signal de l’un d’eux, tous lesavirons, qui étaient restés levés en attendantle commandement, retombaient à la fois, et lecanot filait sous cette vigoureuse impulsion.

De chaque bâtiment de l’escadre, il en partaitainsi, et cela ressemblait à une petite villedans laquelle un grand événement met tout lemonde en branle.

La mer, d’un bleu transparent, était si calmequ’elle n’aurait pas suffi à balancer le berceaud’un bébé un peu exigeant, et c’était un joli spectacleque celui de toutes ces embarcations soigneusementparées, et éclairées en plein par lesoleil du matin.

Les matelots, en grande tenue, se courbaienttous à la fois d’un mouvement parfaitementrégulier, qui montrait tour à tour leurs tricotsrayés et leurs cols d’une blancheur irréprochable ;et les officiers, le cigare aux lèvres, s’interpellaientgaiement d’un canot à l’autre.

— Un jouet mécanique, fit tout à coup l’und’eux en se retournant pour embrasser la flottilled’un coup d’œil. Petits rameurs remontés,petits officiers piqués sur les bancs : c’est le jeude régates que je viens de donner à mes frères.

Des rires lui répondirent et les plaisanteriescontinuèrent sur le même ton.

— A propos, interrompit un autre, qui doncmanque du bord ?… Mais c’est Kerdren ?… Comment,le fou des fous ; il ne serait pas du carnaval ?

— Fou, de Kerdren ?

— Laissez donc, reprit celui qui avait parléle premier, vous ne le connaissez pas encore !…

— Voyons, d’Elbruc, qu’as-tu fait de Kerdren ?continua-t-il en se tournant vers son voisinde droite.

— Rien de mal, je t’assure, répondit paisiblementcelui qu’on interrogeait.

— Alors ?

— Alors, il ne vient pas, voilà tout.

— Il est malade ?

— Non.

— Mauvaises nouvelles ? Triste ?

— Non.

— En pénitence, peut-être ?

— Pas même !

— Enfin, on ne manque pas des journéescomme celle-ci sans une bonne raison !

— Aussi bien il en a une.

— Et, on peut savoir ?…

— Parfaitement ; je l’ai laissé dans le carréavec la guitare qu’il a achetée à Alger, et uneméthode qu’il venait de recevoir de Paris : uneméthode pratique pour commençants, avec Exerciceset airs gradués pour guitare, par EmanueloPincetto. Il sait déjà la position des mains etla gamme d’ut, et il essayait, quand je suis parti,une valse lente en quatre notes. Le navire sauteraitqu’il ne bougerait pas !

Un rire général accueillit l’explication. Enmême temps on arrivait, et la manœuvre dudébarquement s’opéra avec la précision mathématiquequ’on avait remarquée au départ.

Les matelots accostaient, les officiers sautaientà terre, et les canots allégés repartaientde leur allure de mouettes rasant l’eau.

L’escadre de la Méditerranée, par un hasardbienheureux, s’était trouvée dans les paragesde Nice, précisément à l’époque des jou

...

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