EUGÈNE TALBOT

ARISTOPHANE

TRADUCTION NOUVELLE

PRÉFACE DE SULLY PRUDHOMME


TOME PREMIER

PARIS

ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR

23-31, PASSAGE CHOISEUL, 23-31

M DCCC XCVII


AVANT-PROPOS

L'ancien professeur de rhétorique bien connuet si estimé, auteur de la belle traductionqu'on va lire, M. Talbot, n'est plus. Il estmort plein d'années, entouré de respect et d'affection.Outre la tendresse des siens il goûtait l'attachement decette grande famille spirituelle, si douce aux vieux maîtresqui ont su se la former dans les lycées par un enseignementsolide et paternel prodigué à de nombreusesgénérations d'élèves. Combien d'entre eux pourraientm'envier l'honneur et le plaisir de présenter son livre aupublic! Aucun n'y aurait un meilleur titre que moi, si leseul requis était la longue fidélité du commerce amicalavec lui, avec ses proches, avec ceux que rallie ou pleuresa noble veuve. Mais, je le confesse, le plus indispensablede tous les titres, l'entière compétence me manque.Une traduction d'Aristophane ne saurait être recommandéeà ses lecteurs naturels avec une autorité suffisanteque par un helléniste, et je ne le suis pas. Je suis loin deposséder toutes les clefs des auteurs grecs; j'en suis levisiteur, non le familier. Heureusement n'ai-je à remplirici qu'un rôle de simple exécuteur testamentaire chargéd'expliquer au lecteur les conditions d'un legs littéraire,conditions qui suffisent à en déterminer toute la valeur.Cette valeur n'offre pas seulement la garantie, déjà sûre etincontestée, du savoir et de l'expérience du traducteur, ellea, de plus, rencontré un répondant considérable dans unpoète de premier ordre, en relations étroites et constantesavec la poésie grecque, dans Leconte de Lisle. Oui, j'aila bonne fortune de pouvoir me retrancher derrière cemaître, m'en référer à sa haute appréciation, à son jugementdifficile, exempt de toute complaisance. Il connaissaitcette traduction, l'admirait, et, certes, on ne douterapas de sa sincérité quand on saura qu'il l'avait adoptéeet que, désireux d'acquérir, à titre de collaborateur, ledroit de la joindre à la collection des poètes grecs déjàtraduits par lui, il avait offert à M. Talbot de mettre envers les chœurs interprétés en prose. C'était un accordaccepté et conclu, mais les forces épuisées du poète nelui permirent pas de mettre à exécution son dessein. J'aisous les yeux la lettre découragée, datée de mars 1891,par laquelle il apprend à M. Talbot que «malade, trèsfatigué et plein de mille ennuis», il se sent incapabled'accomplir sa promesse. Il ajoute, avec cet accent d'amèredéfaillance que nous lui connaissions trop: «L'œuvren'en vaudra que mieux, incontestablement, de toute façon.»Hélas! Il se raillait; l'œuvre y a perdu l'inestimableestampille par laquelle le maître l'eût, en partie,faite sienne. On saura, du moins, et c'est l'important, qu'ilavait été dans sa pensée, dans son intention formelle d'yimprimer sa marque. Un pareil témoignage est à l'honneurdes deux écrivains. Cette consécration de l'œuvredu prosateur par le concours promis du poète ne demeurepas, en effet, sans retour profitable à celui-ci. Ellesuppose une mutuelle adhésion, et, sans doute, en convenantd'associer à son labeur celui de Leconte de Lisle,le digne représentant de l'Université, c'est-à-dire de lagardienne officielle et vigilante de tous les classiques,donnait, au bénéfice de l'interprète marron, un précieuxexemple de conciliante humeur. Les traductions de Lecontede Lisle, bien que d'une saveur antique si délectable,avaient à conquérir l'approbation des hellénistes patentésaux scrupules méticuleux, plus préoccupés du lexique etde la grammaire que de la vertu poétique du langage.Leur souci fondamental n'est, ce

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