LAURENT TAILHADE
BALLADES ET QUATORZAINS
Préface d'Armand Silvestre
PARIS
Chez Léon Vanier, éditeur
19, QUAI SAINT-MICHEL, 19
1891
DU MÊME AUTEUR
Le Jardin des Rêves. 1 volume. Lemerre, 1880. (Épuisé.)
POUR PARAITRE INCESSAMMENT
Les Escarboucles. (Vers.)
Le Don des Larmes. (Vers.)
Le Péché. (Roman.)
Terre Latine. (Paysages.)
Il fut tiré du présent opuscule quatre centsexemplaires numérotés sur papier de Hollande,plus vingt-cinq exemplaires sur papier impérialdu Japon, qui ne seront point mis dans lecommerce.
Exemplaire no
A mon ami André Cogné
L. T.
En écrivant ces lignes inutiles en têted'un livre qui n'a pas besoin d'êtrerecommandé aux lettrés, et auquel necomprendront rien les ignorants et lesimbéciles, je n'ai voulu que répondre ausentiment d'affection trop modeste qui me lesdemandait, que donner à Laurent Tailhadeune preuve d'amitié constante, d'estime littéraireabsolue. Le souffle me manque, d'ailleurs,pour suivre, dans leur vol, là où ellesvont frapper même au travers de mes sympathiespersonnelles, les flèches de sa verveéperdument acérée, et je ne me donneraipas le ridicule d'avoir un avis sur la formepoétique qu'il a menée, en grand artiste,à sa perfection.
Les poètes d'une génération sont les plusmalvenus à juger ceux de la génération quiles suit. A tout ce qui nous paraît démodédans ceux qui nous ont précédés, nous pouvonsdeviner l'impression qu'ont de nousceux qui nous suivent. C'est que la languepoétique n'est pas une terre égale dontchacun défriche, à son tour, un carré:c'est un fleuve dont le cours nous emporteet qui, d'un point à un autre, ne reflète niles mêmes rives, ni le même ciel. Nousn'avons donc aucun élément pour apprécier,dans sa justesse, la vision de ceux qui yvoguent en aval ou en amont de nous. D'unbout du siècle à l'autre, les poètes ne se peuventpas plus comprendre que des gens neparlant pas le même idiome.
Nous qui avons fait des vers, nous sommesdonc tenus à une extrême réserve vis-à-visde ceux qui en font maintenant. Mais, sinous ne pouvons blâmer ce qui nous enéchappe, ce qui tient à une évolution de laforme vers un progrès ou vers une décadence—quioserait bien dire lequel des deux?—ilnous faut largement, cordialement,fraternellement goûter le charme detout ce qui nous y séduit. Dans LaurentTailhade ce qui m'enchante, au delà detoute expression, c'est la musique et le parfumde latinité qui, dans les impressions lesplus modernes, affirme en lui la race: musiqueet latinité de psaumes quelquefois, sivous voulez, mais dans lesquels Virgile serencontre avec saint Grégoire. Il n'est pasd'écrivain vraiment français qui n'ait cesang latin dans les veines, fait de paganismeet de liturgie. Tous ceux qui ne l'ontpas sont des barbares et rien de plus. Aumême degré Villon et Théophile Gautiersont de la grande famille.
Puisqu'il est convenu qu'on est toujoursle fils de quelqu'un, ceux-là sont les aïeuxque je vois à Laurent Tailhade et, commeen art surtout, le temps est une fiction, ilest à la même distance, comme langue poétique,de l'un et de l'autre. De Gautier ila l'impeccabilité souveraine; de Villon l'emportementlyrique et l'abondance cadencéedu verbe. Son ve