REMY DE GOURMONT


La

Culture des Idées

DU STYLE OU DE L'ÉCRITURE—LA CRÉATION
SUBCONSCIENTE—LA DISSOCIATION DES IDÉES
STÉPHANE MALLARMÉ ET L'IDÉE DE DÉCADENCE
LE PAGANISME ÉTERNEL—LA MORALE DE L'AMOUR
IRONIES ET PARADOXES

DEUXIÈME ÉDITION

PARIS
SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
XV, RVE DE L'ÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN, XV

MCM




LA CULTURE DES IDÉES

DU STYLE OU DE L'ÉCRITURE

I

Et ideo confiteatur eorum stultitia,qui arte, scientiaque immnunes,de solo ingenio confidentes, adsumma summe canenda prorumpunt;a tanto prosuntuositatedesistant, et si anseres naturalidesidia sunt, nolint astripetamaquilam imitari.

Dantis Alighieri, De vulgari eloquio,II. 4.

Déprécier «l'écriture», c'est une précautionque prennent de temps à autre les écrivainsnuls; ils la croient bonne; elle est le signe deleur médiocrité et l'aveu d'une tristesse. Ce n'estpas sans dépit que l'impuissant renonce à la joliefemme aux yeux trop limpides; il doit y avoirde l'amertume dans le dédain public d'un hommequi confesse l'ignorance première de son métierou l'absence du don sans lequel l'exercicede ce métier est une imposture. Cependant quelques-unsde ces pauvres se glorifient de leur indigence;ils déclarent que leurs idées sont assezbelles pour se passer de vêtement, que les imagesles plus neuves et les plus riches ne sont quedes voiles de vanité jetés sur le néant de la pensée,que ce qui importe, après tout, c'est le fondet non la forme, l'esprit et non la lettre, la choseet non le mot, et ils peuvent parler ainsi trèslongtemps, car ils possèdent une meute de clichésnombreuse et docile, mais pas méchante. Ilfaut plaindre les premiers et mépriser les secondset ne leur rien répondre, sinon ceci: qu'il y adeux littératures et qu'ils font partie de l'autre.

Deux littératures: c'est une manière de direprovisoire et de prudence, afin que la meutenous oublie, ayant sa part du paysage et la vuedu jardin où elle n'entrera pas. S'il n'y avait pasdeux littératures et deux provinces, il faudraitégorger immédiatement presque tous les écrivainsfrançais; cela serait une besogne bien malpropreet de laquelle, pour ma part, je rougiraisde me mêler. Laissons donc; la frontière esttracée; il y a deux sortes d'écrivains: les écrivainsqui écrivent et les écrivains qui n'écriventpas,—comme il y a les chanteurs aphoneset les chanteurs qui ont de la voix.

Il semble que le dédain du style soit une desconquêtes de quatre-vingt-neuf. Du moins, avantl'ère démocratique, il n'avait jamais été questionque pour les bafouer des écrivains qui n'écriventpas. Depuis Pisistrate jusqu'à Louis XVI, lemonde civilisé est unanime sur ce point: unécrivain doit savoir écrire. Les Grecs pensaientainsi; les Romains aimaient tant le beau stylequ'ils finirent par écrire très mal, voulant écriretrop bien. S. Ambroise estimait l'éloquence aupoint de la considérer comme un des dons duParaclet, vox donus Spiritus, et S. Hilaire dePoitiers, au chapitre treize de son Traité desPsaumes, n'hésite pas à dire que le mauvais styleest un péché. Ce n'est donc pas du christianismeromain qu'a pu nous venir notre indulgenceprésente pour la littérature informe; mais commele christianisme est nécessairement responsablede toutes les agressions modernes contrela beauté extérieure

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