Il y a plus d'une année, nous parlions ici même de l'interminableguerre qu'a déchaînée le hautain ultimatum du Brésil signifiéau gouvernement de Montevideo le 18 mai 1864[1]. Depuis la terriblebataille de Tuyuti, la plus meurtrière de toutes celles qui ontensanglanté le sol de l'Amérique méridionale, la situation des belligéransne s'est point modifiée, et le grand empire brésilien restetoujours impuissant contre ce petit pays du Paraguay, dont la populationégale à peine celle de deux départemens français. En dépitdes bulletins de victoire que ne manque jamais de transmettre letélégraphe à l'arrivée des paquebots transocéaniques, les impériauxet les Argentins, leurs alliés, n'ont encore pour toute conquête queles terrains marécageux où ils ont établi leur camp, tandis que lessoldats de Lopez n'ont point abandonné l'énorme territoire arrachéà la province de Matto-Grosso. En vain le Brésil s'acharne contre lapetite république; il a déjà perdu plus de 40,000 hommes et se voitobligé d'armer ses esclaves; il a dépensé plus de 600 millions defrancs, et doit maintenant avoir recours au fatal expédient du papier-monnaie;après quarante années d'une apparente prospérité,le jeune empire qui se donnait à lui-même le nom de «géant del'Amérique du Sud» entre dans une période de crise redoutable etmenaçante même pour la durée de ses institutions politiques et sociales.Son existence comme unité nationale est en danger, et il neserait pas impossible qu'après la guerre actuelle le rétablissementde l'équilibre dans les états du continent s'opérât au détriment del'empire esclavagiste. Il importe donc d'étudier avec soin et d'exposerclairement les principaux événemens d'une guerre dont lesconséquences peuvent avoir une telle gravité.
Après que l'armée de terre, arrêtée dans les marais de Tuyuti,eut vainement essayé de s'ouvrir de vive force un chemin vers l'Assomption,c'était au tour de l'escadre de faire la même tentative.Les trois chefs des alliés, Mitre, Florès et Polydoro, tinrent conseilavec l'amiral Tamandaré, et décidèrent que la flotte aurait à forcerle passage du Paraguay et à bombarder les redoutes de l'ennemi,tandis que les troupes de débarquement monteraient à l'assaut.D'après les reconnaissances préliminaires, on croyait que les batteriesde Curupaity, situées en aval d'Humayta sur la berge concaved'une anse de la rive gauche, étaient de ce côté les premierstravaux de défense; mais quelques navires brésiliens qui remontaientsans crainte le courant dans la direction de Curupaity furentbrusquement salués à coups de canon par une nouvelle batteriequ'un rideau d'arbres leur avait cachée jusqu'alors. C'était la batteriede Curuzu, premier obstacle qui devait être dépassé avantqu'on essayât d'aborder les ouvrages plus formidables de Curupaity.Le 1er septembre 1866, tous les préparatifs de l'attaque étaientterminés, et le lendemain une force de 8,300 hommes débarquaiten aval de Curuzu, protégée par le feu que les onze navires del'escadre faisaient converger sur les défenseurs de la redoute.Ceux-ci, au nombre d'environ 2,000, et disposant d'une douzainede pièces de divers calibres, avaient à la fois à répondre au bombardementde la flotte, à résister aux assauts combinés des colonnesd'infanterie, à garder leurs flancs contre les surprises des cavaliersennemis; cependant ils purent tenir jusque dans la journée du 3,et, quand ils abandonnèrent le fortin, ils sauvèrent encore troiscanons. Les alliés restaient maîtres de la position; mais ce triompheavait été chèrement acheté: un millier des assaillans étaient tuésou blessés, un navire cuirassé, le Rio-de-Janeiro, avait sombrédans le fleuve, et deux autres vaisseaux avaient été mis hors deservice.
La prise