GILBERT DE VOISINS
ROMAN
PRÉFACE
DE
PIERRE LOUŸS
TROISIÈME ÉDITION
PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES
Librairie Paul Ollendorff
50, CHAUSSÉE D’ANTIN, 50
1904
Tous droits réservés.
DU MÊME AUTEUR
PROCHAINEMENT :
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S’adresser, pour traiter, à la Librairie Paul Ollendorff, 50, Chausséed’Antin, Paris.
Il a été tiré de cet ouvrage dix exemplairessur papier de Hollande.
J’offre à mon ami
ALBERT ERLANDE
cette invention chimérique.
G. V.
LETTRE A LA LECTRICE
Madame,
Le roman que j’ai le très grand honneurde vous présenter ici aurait de quoi vous surprendreavant de vous charmer, si quelqu’unne se hasardait pas à vous l’expliquer toutd’abord. En deux mots, voici comment : c’estune intrigue entre jeunes gens contemporainset personnages fabuleux.
En littérature, vous le savez, certaines chosessont admises et d’autres ne le sont point. Il estreconnu que nous pouvons faire converser lesGrecs avec les divinités de leurs mythologies,et les Croisés avec des ondines. Cela estparfaitement licite et on ne nous dira rien sitel est notre goût, pourvu que nous parlionsen termes décents. Mais, le XIIIe siècle passé,toute imagination nous est interdite. Nousentrons, paraît-il, dans une Histoire nouvelle,à la mort de saint Louis, sans qu’onnous dise avec clarté pourquoi les temps antérieursétaient un peu moins historiques, ou lessuivants moins fabuleux. Gœthe a fait preuved’une hardiesse extrême en laissant monterFaust sur le dos de Chiron. Victor Hugo asoulevé les risées du Second Empire en publiantun dialogue avec une certaine « Bouched’Ombre » qui n’était pas de chair et d’os.Quant à M. de Banville, qui causait en proseet tout éveillé avec les fées du bois de Meudon,son cas fut considéré comme pathologique.
Je ne comprends pas du tout pourquoi.
Réfléchissez, madame, que si un personnageest en effet surnaturel, les lois de la nature étantimmuables, il n’est pas plus hétéroclite de notretemps que trois mille années plus tôt. On estsurnaturel ou on ne l’est pas. Aucun zoologuene vous citera un animal qui serait surnaturelau XXe siècle et qui ne l’eût pas été au XIIe.S’il est réellement impossible qu’un Centaure,c’est-à-dire un mammifère, ait trois pairesde pattes comme un insecte, cela n’étaitpas moins impossible à l’origine du monde,car, si les espèces ont varié, les caractères générauxdes familles animales sont restés identiquesà leur premier aspect. Si donc vous admettezqu’Ulysse ait pu rencontrer les Sirènes,vous n’avez plus le droit de sourire à nos romanslorsqu’ils vous disent que nous aussi,nous avons entendu des Voix sur la mer.
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