PIERRE MILLE

TROIS FEMMES

PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AUBER, 3

Il a été tiré de cet ouvrage
CINQ CENTS EXEMPLAIRES SUR PAPIER VÉLIN DU MARAIS
tous numérotés.

No

Droits de traduction et de reproduction réservéspour tous les pays.

Copyright, 1920, by Calmann-Lévy.

UN DIVORCE

— Mon père est là ? demanda Berthe Wilden,quand elle vit la porte s’ouvrir devantelle.

— Monsieur Fauli ? répondit la servante.Bien sûr, il n’est pas sorti de toute la journée.

« C’est vrai, songea Berthe. Je n’avaispas pensé que c’est aujourd’hui samedi.Père sort le moins possible ce jour-là. »Par un retour sur elle-même, elle éprouvaun remords d’avoir oublié si vite, depuisson mariage, les habitudes religieuses deson enfance.

Elle ouvrit elle-même la porte du cabinetde travail. Le vieux Fauli était assis, inoccupéen apparence, devant son bureau. Lejour, tout près de mourir à cette heure,montrait, fortement accusé par la lumièrequi tombait de la fenêtre, le profil ferme etnet d’un vieux patriarche : des sourcilstouffus, une lèvre épaisse sous la grandebarbe blanche, un nez fort et busqué, élargiaux narines :

— Simcha, dit-il, ma Simcha !

Il lui donnait son nom secret, le nomoriental et réservé que les gentils ne connaissentpas, gardé précieusement pour lafamille, et que Berthe n’entendait jamaisprononcer sans un certain malaise, commes’il eût contrarié son désir d’oublier des traditionspour lesquelles il lui semblait avoirperdu toute sympathie.

— Père, dit-elle nettement, je viens teparler de mon mari.

Il fronça les sourcils. Jacques Wildenn’était pas un gendre selon son cœur.Berthe précipita ses paroles.

— C’est parce que les Américains n’achètentplus, dit-elle. On ne pouvait pasprévoir ça, le commerce des tableaux allaitsi bien ! Mais, pour soutenir les prix, il fautacheter, acheter toujours, et depuis six moison ne vend plus rien.

Elle s’arrêta, n’osant encore dire lereste. Le vieux Fauli haussa les épaules.Des siècles de négoce, de spéculation, depersécution, ont habitué sa race à supporterla mauvaise fortune avec une sorte d’indifférencepaisible. A manier héréditairementl’argent de façon régulière on apprend cequ’ignorent les hommes issus, comme presquetous les Français de sang, de souchepaysanne : que cet argent n’est qu’un signe,un symbole qui n’a pas de valeur par soi-même,mais par les possibilités d’échange etde combinaison qu’il permet. Et si l’on n’apas toujours dans l’esprit ce principe fondamental :« Toutes les affaires sont mauvaises,quelques-unes deviennent bonnes »,on perd courage à la première mauvaiseaffaire ! Mais aujourd’hui la vie est trop facileen France. Quand on compte déjà trois ouquatre générations d’aïeux qui n’ont pasconnu l’âpreté de la lutte pour la vie chezles barbares méchants de Russie et dePologne, ou, ce qui vaut mieux encore, lessimples et gaies populations d’Alsace, onn’est plus bon vraiment qu’à se laisser fondredans la masse nationale, à devenir un fonctionnairesans responsabilité ou un politiciensi on est d’intelligence moyenne ; un hommede lettres, un savant, un artiste quand on ale cerveau bien fait et une sensibilité suffisante.Mais, pour le commerce, c’est fini :on ne peut plus, on n’est plus digne !

Jacques Wilden n’était plus digne. C’étaitle jugement sans appel du vieux Fauli. Ilprononça

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