LES MISÈRES

DE LONDRES

I

LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS


PAR

PONSON DU TERRAIL

PARIS

E. DENTU, ÉDITEUR

LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES

PALAIS-ROYAL, 17 ET 19, GALERIE D'ORLÉANS

1868




LES MISÈRES DE LONDRES

PROLOGUE

LA NOURISSEUSE D'ENFANTS



I

Le panache noir du Penny-Boat s'allongeait dans lebrouillardrougeâtre qui pesait sur la Tamise et qu'un pâle rayon desoleilcouchant brisait.

Le Penny-Boat est un petit bateau à vapeur dont leprix depassage,—son nom l'indique,—est d'un penny, deux sous en monnaiefrançaise.

Cinquante navires de ce genre sillonnent en tous sens et àtoute heurece fleuve immense qu'on appelle la Tamise, et dans les flots ternesduquel Londres, la ville colossale, plonge ses pieds boueux.

Comme toujours, le Penny-Boat regorgeait de passagers, lesgentlemenet les ladys à l'arrière, les roughs,c'est-à-dire le peuple, àl'avant.

Sur cette partie du navire, hommes et femmes considéraient,les uns aveccuriosité, d'autres avec compassion, quelques-uns avecconvoitise, unefemme de vingt-quatre à vingt-cinq ans qui tenait un enfantd'unedizaine d'années par la main. Pauvre était leuraccoutrement, pluspauvre encore leur bagage.

La femme portait un vieux chapeau, un vieux châle àcarreaux, des basbleus de grosse laine, et des souliers encore couverts de lapoussièred'une longue route.

L'enfant avait le bas des jambes nu, point de chapeau sur satêtecouverte d'une belle chevelure châtain en broussaille; et samère luiavait enroulé autour de sa veste fripée un lambeau deplaid qui avait dûêtre rouge et vert, mais qui n'offrait plus que des tons jauneset gris.

Pourquoi donc ces infortunés attiraient-ils ainsi l'attentiongénérale,sur ce pont encombré, au milieu de cette navigation en tumulte,endépit du sifflet des locomotives passant et repassant la Tamise,deCannon-street à London-Bridge, et de London-Bridge àCharing-Cross?

Quelques gentlemen correctement vêtus s'étaientmême joints, surl'avant, au menu peuple qui entourait ces deux créatures, etleurétonnement, leur curiosité ne le cédaient en rienà la curiosité, àl'étonnement et même à l'admiration contenue dontla mère et l'enfantétaient l'objet.

C'est que la mère, en ses haillons, était plus belleque toutes lesladys qu'on voit le matin dans Hyde-Park ou dans les jardins deKingsington sur un cheval de sang, c'est que jamais peintreénamouré del'idéal n'avait rêvé une figure de chérubinplus jolie que celle del'enfant.

La mère était blanche, avec des lèvres rouges,l'œil d'un bleu sombreet les cheveux d'ébène.

L'enfant avait un signe bizarre.

Au milieu de ses cheveux châtains et presque noirs, une touffedecheveux rouges, mince et fine, lui descendait vers le milieu du front.

Tous deux, la mère et l'enfant, regardaient avec une stupeurinquiètecette ville immense se dressant aux deux rives du fleuve, avec seséglises sans nombre, ses gares gigantesques, ses pontscyclopéens etses maisons noires et enfumées.

D'où venaient-ils? Nul ne le savait.

Ils s'étaient embarqués à Greenwich, oùils étaient arrivés à pied.

La mère avait, en soupirant, tiré de sa bourse,où se heurtaient deux outrois schillings avec un peu de monnaie de cuivre, les quatre pencenécessaires à l'achat du ticket ou billet d'embarquement.

Puis elle s'était assise sur le pont, prenant son fils dansses bras.

Longtemps, elle n'avait adressé la parole à personne.

Mais enfin, comme le Penny-Boat touchait à la stationdes docks del'Inde, e

...

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