PAR
AUGUSTIN THIERRY
NOUVELLE ÉDITION
REVUE AVEC LE PLUS GRAND SOIN
PARIS
GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
6, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6
Des vingt-cinq Lettres qui forment ce recueil, dix ont étépubliées dans le Courrier français, vers la fin de 1820 ; les autresparaissent pour la première fois. Les nombreuses questions historiquestraitées dans ces dernières se rapportent toutes, d’unemanière directe, à deux chefs principaux : la formation de lanation française, et la révolution communale. J’ai cherché à déterminerle point précis où l’histoire de France succède à l’histoiredes rois franks[1], et à marquer de ses véritables traits le plusgrand mouvement social qui ait eu lieu depuis l’établissement duchristianisme jusqu’à la révolution française. Quant aux dix Lettresanciennement publiées, elles ont, en général, pour objet desoumettre à un examen sévère plusieurs ouvrages sur l’histoirede France regardés alors comme classiques. J’ai besoin d’exposeren peu de mots les motifs qui m’ont décidé à reproduire presquetextuellement ces morceaux de critique, malgré l’espèce d’anachronismeque présentent des jugements portés il y a sept anssur notre manière d’écrire et d’envisager l’histoire.
[1] On verra plus tard pour quelle raison et à quelle fin j’ai employé ce genred’orthographe.
En 1817, préoccupé d’un vif désir de contribuer pour ma partau triomphe des opinions constitutionnelles, je me mis à chercher-2- dans les livres d’histoire des preuves et des arguments àl’appui de mes croyances politiques. En me livrant à ce travailavec toute l’ardeur de la jeunesse, je m’aperçus bientôt quel’histoire me plaisait pour elle-même, comme tableau du tempspassé, et indépendamment des inductions que j’en tirais pourle présent. Sans cesser de subordonner les faits à l’usage quej’en voulais faire, je les observais avec curiosité, même lorsqu’ilsne prouvaient rien pour la cause que j’espérais servir, et toutesles fois qu’un personnage ou un événement du moyen âge meprésentait un peu de vie ou de couleur locale, je ressentais uneémotion involontaire. Cette épreuve, souvent répétée, ne tardapas à bouleverser mes idées en littérature. Insensiblement jequittai les livres modernes pour les vieux livres, les histoirespour les chroniques, et je crus entrevoir la vérité étouffée sousles formules de convention et le style pompeux de nos écrivains.Je tâchai d’effacer de mon esprit tout ce qu’ils m’avaient enseigné,et j’entrai, pour ainsi dire, en rébellion contre mes maîtres.Plus le renom et le crédit d’un auteur étaient grands, plus jem’indignais de l’avoir cru sur parole et de voir qu’une foule depersonnes croyaient et étaient trompées comme moi. C’est danscette disposition que, durant les derniers mois de 1820, j’adressaiau rédacteur du Courrier français les dix Lettres dont j’aiparlé plus haut.
Les Histoires de Velly et d’Anquetil passaient alors pour très-instructives ;et lorsqu’on voulait parler d’un ouvrage fort, oncitait les Observations de Mably ou l’Abrégé de Thouret. L’Histoiredes Français par M. de Sismondi, les Essais sur l’Histoirede France par M. Guizot, l’Histoire des ducs de Bourgogne