DE
L'AMOUR

PAR
DE STENDHAL

ÉDITION REVUE ET CORRIGÉE ET PRÉCÉDÉE D'UNE ÉTUDESUR LES Œuvres de Stendhal

Par Sainte-Beuve

PARIS
GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
6, RUE DES SAINTS PÈRES, 6

PRÉFACE[1]

[1] Mai 1826.

Quoiqu'il traite de l'amour, ce petit volume n'estpoint un roman, et surtout n'est pas amusant commeun roman. C'est tout uniment une description exacteet scientifique d'une sorte de folie très rare en France.L'empire des convenances, qui s'accroît tous les jours,plus encore par l'effet de la crainte du ridicule qu'àcause de la pureté de nos mœurs, a fait du mot quisert de titre à cet ouvrage une parole qu'on évite deprononcer toute seule, et qui peut même sembler choquante.J'ai été forcé d'en faire usage, mais l'austéritéscientifique du langage me met, je pense, à l'abri detout reproche à cet égard.


Je connais un ou deux secrétaires de légation qui, àleur retour, pourront me rendre service. Jusque-là, quepourrais-je dire aux gens qui nient les faits que jeraconte? Les prier de ne pas m'écouter.

On peut reprocher de l'égotisme à la forme que j'aiadoptée. On permet à un voyageur de dire: «J'étais àNew-York, de là je m'embarquai pour l'Amérique dusud, je remontai jusqu'à Santa-Fé-de-Bogota. Les cousinset les moustiques me désolèrent pendant la route,et je fus privé, pendant trois jours, de l'usage de l'œildroit.»

On n'accuse point ce voyageur d'aimer à parler desoi; on lui pardonne tous ces je et tous ces moi, parceque c'est la manière la plus claire et la plus intéressantede raconter ce qu'il a vu.

C'est pour être clair et pittoresque, s'il le peut, quel'auteur du présent voyage dans les régions peu connuesdu cœur humain dit: «J'allai avec Mme Gherardiaux mines de sel de Hallein… La princesse Crescenzime disait à Rome… Un jour, à Berlin, je vis le beaucapitaine L…» Toutes ces petites choses sont réellementarrivées à l'auteur, qui a passé quinze ans enAllemagne et en Italie. Mais, plus curieux que sensible,jamais il n'a rencontré la moindre aventure,jamais il n'a éprouvé aucun sentiment personnel quiméritât d'être raconté; et, si on veut lui supposer l'orgueilde croire le contraire, un orgueil plus grand l'eûtempêché d'imprimer son cœur et le vendre au publicpour six francs, comme ces gens qui, de leur vivant,impriment leurs Mémoires.

En 1822, lorsqu'il corrigeait les épreuves de cetteespèce de voyage moral en Italie et en Allemagne, l'auteur,qui avait décrit les objets le jour où il les avaitvus, traita le manuscrit qui contenait la description circonstanciéede toutes les phases de la maladie de l'âmenommée amour, avec ce respect aveugle que montraitun savant du XIVe siècle pour un manuscrit de Lactanceou de Quinte-Curce qu'on venait de déterrer.Quand l'auteur rencontrait quelque passage obscur, et,à vrai dire, souvent cela lui arrivait, il croyait toujoursque c'était le moi d'aujourd'hui qui avait tort. Il avoueque son respect pour l'ancien manuscrit est allé jusqu'àimprimer plusieurs passages qu'il ne comprenaitplus lui-même. Rien de plus fou pour qui eût songé auxsuffrages du public; mais l'auteur, revoyant Paris aprèsde longs voyages, croyait impossible d'obtenir un succèssans faire des bassesses auprès des journaux. O

...

BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!


Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!