LES ARTS GRAPHIQUES
ÉDITEURS
3 RUE DIDEROT, VINCENNES
LES BEAUX VOYAGES
(Merveilleuses histoires)
«FAIRE un beau voyage,» quelle émotion soulevaient ces simplesmots dans notre cœur d'enfant! Quel trouble délicieux ils y éveillentencore!
Espérer, c'est vivre. Nous ne vivons vraiment que par l'attente d'on nesait quoi d'heureux qui va probablement nous arriver tout à l'heure...ce soir... demain... ou l'année prochaine. Alors, n'est-ce pas? tout serachangé; les conditions de notre vie seront transformées; nous auronsvaincu telle ou telle difficulté; triomphé de l'obstacle qui s'opposeà notre bonheur, à la réalisation de nos désirs d'ambition ou d'amour.L'enfance, puis l'adolescence, se passent ainsi à appeler l'avenir inconnu,à le rêver resplendissant de couleurs magiques. Être jeune, c'est espérer,sans motif raisonné, malgré soi, à l'infini—c'est-à-dire voyager enesprit vers des horizons toujours nouveaux—courir allègrement au-devantde toutes les joies.
La plupart des hommes, rivés aux mêmes lieux par la nécessité, s'habituentà ne plus rien attendre. Ils ont appris plus ou moins vite que demainsera pour eux tout semblable à hier; la ville ou le village ou les champsqu'ils habitent ne leur apprendront jamais rien de plus que ce qu'ilssavent.
... Dès qu'ils en sont sûrs, c'est qu'ils ont vieilli, vraiment vieilli,—de la mauvaise manière; mais, même alors, il arrive que ces motsenchantés, «faire un beau voyage,» raniment en eux la force d'espérer,de rêver, de vouloir et d'agir. L'illusion féconde, dont parle le poète,rentre dans leur cœur. Et dès qu'ils se mettent en route, ils sepersuadent qu'à chaque détour du chemin ils vont, comme le héros deCervantès, voir apparaître l'Aventure, la chose nouvelle, l'évènement,le spectacle imprévus, ce je ne sais quoi d'étrangement exquis que lessédentaires (ils le croient du moins) ne sauraient rencontrer.
Et c'est là proprement le charme du voyage; il est dans le renouvellementindéfini de notre faculté d'attendre avec joie. Voyager c'est espérer;voilà pourquoi le voyage est parfois un remède efficace aux grandschagrins. Il nous force à espérer encore. Un désir de voyage estessentiellement un désir de nouveau et d'amusant, d'inédit, de romanesqueou de féerique—en tous cas, de non-encore-vu.
L'avènement de l'exotisme en littérature a été un rajeunissement.
Le personnage de Robinson Crusoë incarne le voyage même, et il semble bienque jamais livre n'obtint succès plus grand et plus durable.
L'apparition de Paul et Virginie fut un enchantement. C'étaient Adam etÈve tout enfants, dans un Éden tout nouveau. Le voyage avait rajeunil'innocence et l'amour même.
La curiosité et l'espoir se sentirent vivifiés avec Chateaubriand, puisavec Pierre Loti.
Nous autres, écoliers du XIX^e siècle, n'avons-nous pas lu un moment, avecavidité, derrière un rempart de dictionnaires, de médiocres histoires dechasses en Amérique, d'Apaches et de Comanches—et sans images. Quant à lavraie géographie, à l'ethnographie scientifiques, avant les reclus, ellesse présentaient à nous sans ornement, sans pittoresque, sans couleur—dansdes livres un peu ennuyeux et qui, en effet, nous rebutaient souvent.
On a compris aujourd'hui que les livres «d'instruction» destinés auxenfants doivent s'adresser à leur sensibilité, se faire aimer d'eux,exciter en eux «l'espérance,» la bonne curiosité, c'e