Le presidio de Santa Fé, le poste le plus avancé que possèdent lesMexicains dans la province de Sonora, est bâti au milieu d'une plaineriante et fertile. Une de ses faces occupe l'ouverture du coude queforme une petite rivière; il est ceint naturellement par les murs depierre des habitations dont il est bordé; l'entrée de chaque rue estfermée par des pieux qui font palissade, et, comme dans la plupart despueblos (villages) de l'Amérique du Sud, les maisons, élevées d'unétage, sont couvertes en terrasse de terre bien battue, ce qui estun abri suffisant dans ce beau pays où le ciel est toujours pur. Autemps de la domination espagnole, Santa Fé jouissait d'une certaineimportance, grâce à sa position stratégique qui lui permettait de sedéfendre facilement contre les incursions des Indiens; mais, depuisl'émancipation du Mexique, ce pueblo, comme tous les autres centresde population de ce malheureux pays, a vu sa splendeur s'évanouir àjamais; et, malgré la fertilité de son sol et la magnificence de sonclimat, il est entré dans une ère de décadence telle, que le jourest prochain où ce ne sera plus qu'une ruine inhabitée; en un mot,ce bourg, qui comptait, il y a cinquante ans, plus de trois millehabitants, en possède aujourd'hui quatre cents à peine, rongés par lesfièvres et la plus honteuse misère.
Or, le 5 mars 1855, jour où commence cette histoire, entre trois etquatre heures du soir, deux cavaliers bien montés entraient au grandtrot dans le presidio.
Le premier était un homme de quarante-cinq à cinquante ans; sa taillehaute, ses membres vigoureux et bien attachés indiquaient une forceet une agilité peu communes; son teint était bronzé, et ses traitsdurs et hautains décelaient presque la cruauté; un air de franchisequi rayonnait dans ses yeux tempérait néanmoins cette expression etrépandait même sur sa physionomie un charme dont il était difficilede se défendre; le bas de son visage était couvert d'une barbe noireet touffue, et d'épaisses boucles d'une longue chevelure brune mêléespar places de fils argentés, s'échappaient de son chapeau de pailleà larges bords et tombaient en désordre sur ses fortes épaules. Soncostume, en partie recouvert d'un zarapé aux mille couleurs, etd'un tissu d'une finesse extrême, ressemblait à celui des richeshacenderos[1]. Son large pantalon de velours violet, garni d'uneprofusion de boutons d'or ciselés avec art, et ouvert à la hauteurdu genou, laissait voir ses bottines de daim aux talons desquellessonnaient ces lourds éperons d'argent dont les molettes, larges commedes soucoupes, obligent à marcher sur la pointe du pied; sa veste,d'une étoffe et d'une couleur semblables au pantalon, ne lui descendaitque de quelques pouces au-dessous des aisselles, et permettaitd'entrevoir la fine chemise de batiste que fermait sur sa poitrine unsuperbe diamant; une ceinture de soie rouge richement brodée, et danslaquelle étaient passés un revolver à six coups, un poignard et unehache, lui serrait les hanches, et un rifle damasquiné d'argent étaitposé en traver