Leopold von Sacher-Masoch (1836-1895), La Mère de Dieu (Die Gottesmutter) (1886)
Produced by Daniel FROMONT
NOUVELLES TRADUITES DE L'ALLEMAND
AVEC L'AUTORISATION DE L'AUTEUR
PAR
Mlle STREBINGER
PARISLIBRAIRIE HACHETTE ET CIE79, BOULEVARD SAINT - GERMAIN, 791886
Droits de propriété et de traduction réserves
Sabadil, un jeune paysan de Solisko, était sorti dans la forêt pourentendre le chant des oiseaux. Lorsqu'il était tout petit, déjà ilabandonnait ses jouets, il quittait son chariot et ses chevaux de boisdès qu'un oiseau gazouillait dans le feuillage. Plus tard il avaittendu des pièges et des lacs dans tous les bocages; toute l'annéeretentissaient des chants, des sifflements et des soupirs mélodieuxdans la chaumière qu'habitaient les parents de Sabadil.
Un édit avait été proclamé par la suite. Il était sévèrement interditde s'emparer d'aucun oiseau chanteur. Sabadil, alors, alla se promenerau loin dans la campagne, pour les entendre. Il s'y rendait chaquejour, après avoir terminé son ouvrage; et, le dimanche après midi, ilne manquait jamais d'errer deux ou trois heures dans la forêt, dontles chênes puissants, les hêtres et les bouleaux frêles s'étendaiententre les villages de Solisko, de Brebaki et de Fargowiza-polna.
Les gens s'étonnaient de ne pas voir Sabadil à l'auberge, ou, comme ilétait garçon, de ne pas le voir se rendre derrière l'église, sur laplate-forme où la jeunesse dansait, les jours de fête, pendant que levieux prêtre envoyait sa bénédiction du haut de sa chaire sur lesfidèles et que l'orgue grondait sourdement en une longueplainte. Sabadil ne s'inquiétait pas de ce qu'on pouvait penser delui. Oh non! pas ça. Lui-même était surpris quelquefois de cette forceirrésistible qui l'entraînait depuis si longtemps dans la solitude,sous les grands arbres.
Il y allait comme à une fête; ses hautes bottes luisaient au soleil,son pantalon de fin drap bleu formait de larges plis, s'arrêtantau-dessous du genou; sa blouse du même tissu, fort courte, étaitserrée par une belle ceinture de cuir qui lui servait à la fois debourse et de blague à tabac, et où étaient suspendus son couteau, sonbriquet et sa pipe. Sur son bonnet d'agneau blanc se balançaient deuxsuperbes plumes de paon.
Sabadil s'était arrêté au sortir du village. Il avait cru entendre legazouillement suave d'une fauvette dans une grosse touffe de lilas enfleurs. Puis il avait pris à travers champs. On avait récolté unegrande partie des grains; mais le maïs était encore debout, dressantses larges épis dont la teinte dorée rivalisait avec les cheveux despetits enfants du hameau; le seigle brunissait au soleil, et partoutentre les sillons se trouvaient des alouettes prêtes à s'élever dansl'air en chantant.
Sabadil les suivait des yeux lorsqu'elles s'envolaient, mais il devaitbientôt ramener son regard à terre, tant le bleu du ciel était pur etéblouissant. Il n'y avait qu'un petit nuage au ciel, un léger floconblanc et immobile comme un agneau qui se serait égaré de son troupeauet qui n'ose avancer tout seul. L'air était chaud et lourd. Le soleiléclairait la campagne, réchauffant ses teintes vives.
Une source limpide, aux ondes vertes et écumeuses, descendait dans lavallée en sautillant, et près de cette source, au milieu d'un bouquetde bouleaux aux troncs satinés, se trouvait un petit moulin, qui, luiaussi, était en fête ce jour de