Exprimer avec liberté ce qui est du domaine des mœurs, on ne connaîtpas de courage plus grand chez un écrivain. Choderlos de Laclos s'yappliqua avec une précision pour la première fois vraimentmathématique.
1782, c'est la date mémorable de la publication des Liaisonsdangereuses où, officier d'artillerie, il tenta d'appliquer aux mœursles lois de la triangulation, qui sert aussi bien, comme on sait, auxartilleurs qu'aux astronomes.
Étonnant contraste! La vie infinie qui gravite au firmament obéit auxmêmes lois que l'artillerie destinée par les hommes à semer la mort.
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Des mesures angulaires calculées par Laclos naquit l'esprit littérairemoderne; c'est là qu'en découvrit les premiers éléments Baudelaire,un explorateur raisonnable et raffiné de la vie ancienne, mais dont lesvues sur la vie moderne impliquent toutes une certaine folie. C'est avecdélices qu'il avait inspiré les bulles corrompues qui montent del'étrange et riche boue littéraire de la Révolution où, près deDiderot, Laclos, fils intellectuel de Richardson et de Rousseau, eutcomme continuateurs les plus remarquables: Sade, Restif, Nerciat et tousles conteurs philosophiques de la fin du XVIIIe siècle.
La plupart d'entre eux, en effet, contiennent en germe l'esprit modernequi s'apprête à triompher, créant pour les arts et les lettres uneère nouvelle.
A cette manne nauséabonde et souvent géniale de la Révolution,Baudelaire mêla le pus spiritualiste d'un étrange Américain, EdgarPoë, qui avait composé, dans le domaine poétique, une œuvre qui estle pendant inquiétant et merveilleux de l'ouvrage de Laclos.
Baudelaire est donc le fils de Laclos et d'Edgar Poë. On démêleaisément l'influence que l'un et que l'autre ont exercée sur l'espritprophétique et plein d'originalité de celui que, dès cette année1917, où son œuvre tombe dans le domaine public, on peut mettre aurang non seulement des grands poètes français, mais que l'on peutencore placer à côté des plus grands poètes universels.
La preuve de l'influence des littérateurs cyniques de la Révolutionsur les Fleurs du mal se retrouve partout dans sa correspondance etdans ses notes. Celle d'Edgar Poë a décidé le poète à adapter aulyrisme étrangement élevé que lui avait révélé le merveilleuxivrogne de Baltimore les sentiments moraux qu'il avait tirés de seslectures prohibées.
Dans les romanciers de la Révolution il avait découvert l'importancede la question sexuelle.
Chez les Anglo-Saxons de la même époque, comme Quincey et Poë, ilavait appris qu'il existait des paradis artificiels. Leur explorationméthodique lui a permis d'atteindre, appuyé sur la Raison, déesserévolutionnaire, aux sommets lyriques vers lesquels les prédicantsfous de l'Amérique avai