SOUS LES EAUX TUMULTUEUSES
DORA MELEGARI
PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHER
33, RUE DE SEINE, 33
1923
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays
Copyright by Librairie Fischbacher 1923
Je dédie ce livre à ceux qui, comme moi, ont fermement espéré etespèrent encore qu’après la guerre et avec l’établissement de la paix,s’ouvrira pour l’homme une destinée meilleure que celle qu’il a connuejusqu’ici.
Ces eaux qui, jadis, couvraient le monde sont aujourd’hui étrangementbourbeuses et agitées. La surface des choses apparaît partoutinquiétante. Qu’y a-t-il sous cette surface? L’angoissante question sepose à tous les cœurs qui sentent et à tous les cerveaux quiréfléchissent!
Du temps où le respect de soi-même, l’intérêt bien entendu et la savante{viii}hypocrisie imposaient aux hommes intelligents, ou du moins cultivés,une attitude correcte, les mots sous la surface des choses avaient unesignification bien différente de celle que je leur attribue aujourd’hui.
Auparavant, ils auraient indiqué ce que les individus cachaient demédiocre, de brutal, et même de cruel sous des dehors corrects etconventionnels. Aujourd’hui que la plupart des êtres n’essayent mêmeplus de masquer leurs légèretés, leurs petitesses et leurs convoitises,il n’y a guère, sous leurs actes et leurs allures, de motifs secrets àdécouvrir.
Toutes les laideurs sont devenues apparentes et visibles. Nous vivons àune époque de terrible sincérité; on ne le relève pas suffisamment.
Stendhal a dit quelque part que, pour les femmes, dire la véritééquivalait à enlever leur fichu; mais, aujourd’hui, elles ne portentplus de fichu, et les disgraciées elles-mêmes exposent avec courage les{ix}défectuosités physiques que jadis les filles d’Ève essayaientsoigneusement de dissimuler aux regards. Quant aux hommes, combiend’entre eux ne tentent même plus de se défendre si l’on attaque leurcaractère ou leur probité!
Ceux qui en manquent n’en éprouvent plus de honte; ceux qui lespossèdent, s’ils y mettent encore du prix dans le fond de leur âme, sontdevenus indifférents à l’opinion publique. Ce mépris de l’opinionpublique est un signe caractéristique de notre temps.
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