GILBERT DE VOISINS

LE MIRAGE

Ce pouvoir départi à l’hommede se concevoir autre qu’il n’est.

Jules de GAULTIER.

PARIS
ALBIN MICHEL, EDITEUR
22, RUE HUYGHENS, 22

DU MÊME AUTEUR :

  • La Petite Angoisse (Roman).
  • Pour l’amour du laurier (Roman).
  • Le Démon secret (Roman).
  • Sentiments (Critique).
  • Les Moments perdus de John Shag.
  • Le Bar de la Fourche (Roman).
  • L’Enfant qui prit peur (Roman).
  • Écrit en Chine.
  • L’Esprit impur (Roman).
  • Fantasques (Petits Poèmes).
  • La Conscience dans le mal (Roman).
  • Le Jour naissant.

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE :

10 exemplaires sur papier du Japon ;
25 exemplaires sur papier de Hollande,

TOUS NUMÉROTÉS A LA PRESSE

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.

Copyright by Albin Michel, 1918.

Au Docteur Maurice de Fleury

en témoignage d’affection
et de reconnaissance.

LE MIRAGE

Ce pouvoir départi à l’homme de seconcevoir autre qu’il n’est.

Jules de Gaultier.

CHAPITRE PREMIER

Etait-ce un jeu ? Le sais-je !… En tout cas, celam’amusait fort, tout en m’effrayant peut-être unpeu.

« Que fais-tu là, mon petit ? Un garçon ne doitpas se regarder dans une glace. »

Maman m’avait trouvé debout devant le miroirà trois pans de sa chambre. Elle en fut toutesurprise. Mon père, qui la suivait, entendit maréponse.

« Mais, Maman ! c’est pas moi que je regarde,c’est l’autre ! »

Encore fallut-il expliquer. J’étais d’ailleurstrès fier de ma découverte : ce second moi-mêmeque je voyais de profil, pourquoi avais-je quelquepeine à le reconnaître ?… et ce troisième, vu dedos, je ne le reconnaissais pas du tout, j’auraispu le prendre pour un étranger… pourquoi ?…puisque je me reconnaissais en me regardant toutdroit !

Maman haussa les épaules, papa se mit à rire,mais il fournit aussitôt des explications, suivantsa coutume, et je compris que, me voyant rarementde profil ou de trois quarts, en temps ordinaire,je pouvais être étonné de mon aspect surgidans un jeu de glaces. Assurément, cela rendait lachose moins amusante, moins effrayante, mais,tout de même…

Et, parlant à maman comme si je n’étais pluslà, mon père ajouta de sa voix grave, toujourstimbrée d’ironie :

« Il se trouve néanmoins des gens qui prétendentconnaître leurs parents, leurs amis, lepassant de la rue, quand un miroir à trois facessuffit à les rendre étrangers à eux-mêmes ! »

Maman lui répondit avec douceur :

« Il existe un moyen de connaître les autres…de connaître un autre entre tous.

— C’est possible, c’est possible, dit mon père,mais je ne crois pas. Tu penses à un miroir quidéforme sous le prétexte de rapprocher. Est-ilplus sû

...

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