PAR
J. MICHELET
NOUVELLE ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE
TOME ONZIÈME
PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LACROIX & Cie, ÉDITEURS
13, rue du Faubourg-Montmartre, 13
1876
Tous droits de traduction et de reproduction réservés.
(p. I) Dans cette préface, qui véritablement est plutôt uneconclusion, je dois des excuses à la Renaissance, à l'art, à lascience, qui tiennent si peu de place dans ce volume, mais quireviendront au suivant.
Je m'y arrête à peine au règne d'Henri II. Mais, dès ce règne même,sinistre vestibule qui introduit aux guerres civiles, tout souci d'artet de littérature était sorti de mon esprit.
Mon cœur avait été saisi par la grandeur de la révolutionreligieuse, attendri des martyrs, que j'ai dû prendre à leur touchantberceau, suivre dans leurs actes héroïques, conduire, assister aubûcher.
Les livres ne signifient plus rien devant ces actes. Chacun de cessaints fut un livre où l'humanité lira éternellement. Et, quant àl'art, quelle œuvre opposerait-il à la grande construction moraleque bâtit le XVIe siècle?
La forte base, immense, mystérieuse, s'est faite des (p. II)souffrances du peuple et des vertus des saints, de leur foi simple,dont la portée hardie leur fut inconnue à eux-mêmes, enfin de leurssublimes morts.
Tout cela infiniment libre. Mais une école en sort qui fait du martyreune discipline et une institution, qui enferme dans une formule lagrande âme brûlante de la révolution religieuse. Cette âme ytiendra-t-elle? La liberté, qui fut la base, va-t-elle reparaître ausommet?
Voilà les questions qui m'ont troublé jadis. La voie était obscure etpleine d'ombre; je voyais seulement, au bout de ces ténèbres, un pointrouge, la Saint-Barthélemy.
Mais maintenant la lumière s'est faite, telle que ne l'eût aucuncontemporain. Tous les grands acteurs de l'époque, et les coupablesmêmes, sont venus déposer, et on les a connus par leurs aveux.Philippe II s'est révélé, et, grâce à lui, l'Escurial est percé depart en part. Le duc d'Albe s'est révélé, et nous avons sa pensée jourpar jour, en face de celle de Granvelle. Nous connaissons par eux leurincapacité, leur vertige et leur désespoir au moment de la crise. Leduc d'Albe était perdu en 1572, près de devenir fou. Il faisait prierpour lui dans toutes les églises, consultait les sorciers, imploraitun miracle ou du Diable ou de Dieu. Le 10 août, ce miracle lui futpromis pour le 24.
(p. III) Les tergiversations de la misérable cour de France, qui silongtemps voulut, ne voulut pas et voulut de nouveau (poussée par sesbesoins, par le riche parti qui lui faisait l'aumône), et qui prit àla fin du courage à force de peur, tout cela n'est pas moins clairaujourd'hui, lucide, incontestable. Ce que le Louvre avait pour nousd'obscur s'est trouvé illuminé tout à coup par cette foule dedocuments nouveaux qui, d'Angleterre et de Hollande, de Madrid, deBruxelles, de Rome, d'Allemagne même et du Levant, sont venus à lafois pour l'éclairer. Et, de tant de rayons croisés, une lumière s'estfaite, intense, implacable et terrible.
Et qu'a-t-on vu alors? Une grande pitié. Ni l'Espagne, si fière, ni lagrande Catherine (que tous méprisaient à bon droit), ne savaient oùils allaient ni ce qu'ils faisaient. Ils cherchent, ils tâtent, ilsheurtent. Ils donnent le spectacle très-bas de ces tournois d'aveuglesqu'on armait de bâtons, et qui frappaient sans voir. Ils marchent auhasard et tombent, pui