PIERRE MILLE
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AUBER, 3
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
DU MÊME AUTEUR
Format in-18.
LA BICHE ÉCRASÉE | 1 vol. |
CAILLOU ET TILI | 1 — |
LOUISE ET BARNAVAUX | 1 — |
LE MONARQUE | 1 — |
SUR LA VASTE TERRE | 1 — |
Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays.
Published January twenty ninth nineteen hundred and eight.Privilege of copyright in the United States reserved,under the Act approved March third, nineteen hundred and five,by Calmann-Lévy.
J’ignore si elle avait eu jamais un nomcomme tout le monde, un nom de famille,le même nom qu’avait porté, je ne parle pasde son père, mais sa mère seulement ; et saprofession était de celles que la moraleréprouve. Le recruteur qui l’avait conduitesur la terre d’Afrique avait été obligé de luifaire croire, pour obtenir sa décision, qu’elleirait à peine plus loin que Marseille : un petitbras de mer à traverser, sur une eau calme, etelle se retrouverait en quelques heures dansun pays tout semblable à la France, mais oùles hommes étaient plus généreux. Et pendantdes jours et des jours, du haut de la passerelledes secondes classes, elle avait cherché desyeux, sur la mer sans bornes, les maisons, lescafés, les grands boulevards de Port-Ferry,où on l’envoyait en compagnie de Pasiphaé,une blonde molle, et de Carmen la Valaque.
Au bout de trois semaines, le grand paquebots’arrêta dans l’estuaire d’un fleuve jaunequi roulait ses eaux lourdes entre deux rivesbasses. La lumière même du soleil paraissaitimprégnée d’une humidité perpétuelle,et la première chose qu’elle aperçut en descendantà terre, ce furent des croix plantéesdans la boue. Tel était Port-Ferry, point dedépart d’une conquête neuve, centre d’unfutur empire, où les vainqueurs vivaientdans des cases de bois et de paille, presqueà la nage dans la fange ; mais cinq centshommes vêtus de blanc ou de khaki acclamèrentMarie, Pasiphaé, Carmen la Valaque,acclamèrent le paquebot, la France et lemarchand de femmes qui leur importait del’amour.
Carmen la Valaque et Pasiphaé pleurèrent.
— Nous allons mourir ici, disaient-elles,nous allons mourir, c’est sûr !
Elles regardaient la demeure où ellesallaient vivre et vendre de la volupté, cesparois de bambou couvertes de vieilles affichesillustrées qui rappelaient ironiquementParis. L’obscurité farouche, amassée dans lescoins des murailles sans fenêtres, tombaitsur les lits effrayants comme un drap noirsur une bière, tandis que déjà, par la porteouverte, entraient les plus hardis parmi ceshommes dont elles ne devaient refuseraucun.
— Nous allons mourir ici, mourir !
Marie les considérait avec étonnement,sans comprendre la cause de leur terreur etde leurs larmes. C’est un grand malheurd’avoir conscience de son sort quand ce sortest inévitable, et son insouciance lui épargnaitl’angoisse de ses compagnes. A Parismême, elle avait traversé de plus atrocesmisères, dormi dans d’autres bouges, risquéle couteau, connu la férocité des hommes :elle