PIERRE MILLE

SUR
LA VASTE TERRE

PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AUBER, 3

Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays,y compris la Hollande.

RAMARY ET KETAKA

La maison que louait aux étrangers ledocteur Andrianivoune était à Soraka, faubourgde Tananarive, au-dessus du lacAnosy. Un ménage français l’avait habitéejadis, et s’y était sans doute aimé : deuxpièces, tendues de délicates perses roses,indiquaient encore d’anciens raffinements,le passage d’une jeune Européenne dont lesyeux et les doigts s’étaient distraits et charmésà orner la passagère demeure que luidonnait l’exil. Dans le jardin, des rosiersmoussus achevaient de s’ensauvager et demourir, des caféiers non taillés ne portaientplus de graines ; mais les lilas du Japonavaient crû, hauts à présent comme lesormeaux de nos contrées ; des pêchers enplein vent formaient une bruissante broussaille,qui se heurtait aux vieux murs.

Au-dessous, c’était le lac creusé par le roiRadame, à l’époque même où il voulut raserla montagne de Dieu, l’Ambohi-dzanaharestérile, qui offusquait ses regards de despote.La nappe d’eau, tranquille, presqueronde, brillait doucement dans l’air léger,puis fusait plus loin, par des arroyos et desmares, jusqu’à la grande plaine de l’Ikopa,dont les rizières sans limites ondulaient envagues lustrées. Et au milieu de cet océande verdure plate, lumineuse et joyeuse, — miracleridicule et symbole de conquête, — sedressait la cheminée de la briqueterieOurville-Florens.

C’est dans cette maison que nous vivions,mon ami Galliac et moi. Ce soir-là lesoleil, derrière les monts de l’horizon occidental,glorifiait les choses et faisait battrele cœur. On buvait l’air comme un vin généreux ;les maisons, les arbres, les hommes,les grands troupeaux de bœufs pris surles Fahavales, et que des soldats sénégalais,débraillés et superbes, poussaient aux routesmontantes, tout se poudrait d’une poussièreoù dansaient des grains d’or, desgrains de diamant, des grains de topazeet de rubis : et Tananarive entière, dresséedans la lumière heureuse, avec ses plansrapprochés, mêlés, confondus, avait l’aird’une peinture japonaise étalée sur unécran diapré. Parfois, un indigène, formevague en lamba blanc, traversant la routeinférieure, s’inclinait pour saluer le vazahavictorieux. Des cloches chrétiennes marquaientles offices et les heures, des claironschantaient ces notes longues et tristessi souvent entendues très loin, là-bas,en France ; d’innombrables chiens roux auxoreilles droites aboyaient d’une façon sauvage :et dans tout cela, il y avait à la foisdésaccord et séduction.

… Tout à coup des rires éclatèrent, lesrires de deux voix très jeunes qui s’entrechoquaient,montaient l’une sur l’autre,s’arrêtaient pour repartir encore, et Kétakabondit hors de la pièce que je lui avaisattribuée comme gynécée, criant d’un airtriomphal :

— J’en ai pris un, j’en ai pris un !

Au bout d’un fil blanc terminé par uneépingle recourbée s’agitait un infortunépoisson rouge. Telle était, depuis une heure,la frivole occupation de mon amie malgache.Son esclave avait été avec une nasse prendredes cyprins dans le lac dont, par instant,ils venaient par milliers empourprer lasurface. Kétaka avait mis ces poissons rougesdans un seau de toilette, et jouait à lesrepêcher, avec un beau sang-froid. Sa sœurRamary, épouse quasi légitime de Galliac,l’avait imitée, assise en face d’elle. C’étaitun concours de pêche à la ligne. Monménage avait eu l’honneur de la victoire,Kétaka venait

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