L’ALPHABET DES LETTRES

ADOLESCENCE

PAR
CLAUDE ANET

A

PARIS. A LA CITÉ DES LIVRES

Copyright by Claude Anet, 1925

I

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J’ai été un adolescent précoce et timide.A l’heure où je goûtais les Géorgiqueset où Virgile, avant Lucrèce, donnaitune forme antique aux émotions confusesqu’éveillait en moi le spectacle de la nature,je sentis les premières fièvres d’un sangtumultueux. Je ne courais pas après unejeune paysanne, mais je poursuivais Galatéesous les saules. Elle fuyait et melaissait déçu. Plus heureux lorsque je rêvais,je serrais une nymphe dans mes bras etmêlais mes membres maladroits aux siens.J’étais élevé à la campagne, sans camarades.Le moindre lycéen aurait pris en pitié moninexpérience. Sain et fort jusqu’à l’excès,je courais, je nageais, je montais à cheval ;je me fatiguais sans arriver à calmer l’ardeurqui me dévorait.

Ma mère vivait fort retirée dans sa propriété.Elle ne voyait plus guère que desamies de son âge qui ne faisaient pas grandeattention à moi, ni moi à elles. Parfois arrivaitde Paris une femme jeune, élégante,parée. Que de désirs elle excitait en cegrand garçon qui restait muet sur sa chaisedans un coin ! Elle causait avec ma mère etcependant, à distance, sans l’écouter, je prenaispossession d’elle. Je la dépouillais deses vêtements, je l’étendais nue sur undivan, je m’agenouillais près d’elle, nos viesse confondaient.

Mais lorsqu’à son départ je l’accompagnaisjusqu’à sa voiture, je ne savais que luidire. La robe dont elle était vêtue la séparaitde moi comme une armure magique surlaquelle on ne peut porter la main sanstomber foudroyé. Comment imaginer que jepourrais la lui enlever ? Comment croire quecette personne, amie de ma mère, je la verraisen chemise et en pantalon, que j’entoureraissa taille de mon bras, que ma main inexpertes’approcherait d’un sein délicatementfleuri ? Elle m’adressait la parole. Gêné mêmedans mes regards, je me détournais ne sachantque répondre. J’avais quatorze ans…

Je me souviens avec terreur de cetteépoque où la sève montait en moi avec tantde violence que j’en étais ébranlé. Je luttais,j’essayais de me dominer sans y parvenir etce combat contre nature me laissait irritable,abattu, dégoûté de tout.

Ma mère, si attentive aux moindres variationsde ma santé, ne se doutait pas dela crise que je traversais. Elle se faisaitmille soucis à mon sujet. Le moindre coupde froid l’alarmait : au plus léger mal detête, elle voulait mander le médecin.Qu’étaient une migraine ou un rhume auprèsde la tempête qui me secouait ?

Il aurait fallu qu’une femme me prît parla main… Aucune d’elles ne fit attention àce garçon poussé trop tôt, gauche d’allure,à la voix changeante.

Avec les jeunes filles, je ne ressentais pasles mêmes troubles. Auprès d’elles, j’étaislibre, empressé, ardent à plaire. La sensualitéqui me tourmentait dans mes heures desolitude me laissait la paix lorsque j’étaisen leur compagnie. Pourtant nous échangionsavec mes amies des caresses charmantes ;c’étaient des serrements de mains,un bras passé sous un autre, parfois desbaisers dérobés, mais surtout mille parolestendres, une sympathie entière, un mouvementvif de l’âme à l’âme. Je garde un souvenirdélicieux de ces heures innocentes,fraîcheur d’un bain pur après de lourdesfièvres.

Les jeunes filles, je les voyais surtoutdans la belle saison, car nous habitions un

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